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Sophie Lengrand

LE RÔLE AMBIVALENT DE LA LANGUE DANS LES CONFLITS ARMÉS : FACTEUR D'UNITÉ ET OUTIL DE DIVISION


L’intensification des dynamiques de migration a multiplié les points d’interaction entre les différentes cultures et donc entre les différentes langues. Les conflits ont de plus en plus des fondements ethniques, les différences culturelles deviennent des outils de division. La langue est un marqueur culturel et identitaire dont on ne peut négliger l’importance.


Souvent clairement définie par les constitutions nationales, la langue officielle d’un pays peut faire débat, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un territoire historiquement multi linguistique. La langue fait partie de la culture et peut à ce titre se retrouver au coeur de conflits identitaires, prédominants actuellement en Afrique mais observables à travers le monde. La problématique des relations entre la guerre et les langues est ainsi très complexe et actuelle.


Il convient de noter que certains textes, comme les Conventions de Genève, sont établies dans deux langues, à savoir le français et l’anglais, et que les formulations des principes peuvent varier selon les versions. Lors de l’application du texte, pour qualifier une situation de conflit armé par exemple, l’interprétation doit être faite à la lumière des deux formulations. Le droit des conflits armés lui-même est donc influencé par les différences linguistiques.


Les différences entre langues sont un déterminant des conflits armés et ce tout d’abord parce qu’il s’agit d’un des éléments permettant de distinguer les différentes ethnies. Selon Donald Horowitz, professeur de Droit et de Sciences Politiques à l’université de Duke et spécialiste de l’étude des conflits ethniques, « l’ethnicité définit des groupes différenciés selon la couleur de peau, le langage et la religion ».


En effet, l’identité ethnique a, entre autres, comme critère la langue parlée, ou parfois même l’accent. Il s’agit d’un attribut permettant souvent à la fois la visibilité et la stabilité du groupe car les groupes ethniques n’ont pas de catégorie biologique fixe, il s’agit d’un facteur d’identification interne, entre membres, mais aussi d’un facteur de différenciation, entre groupes. Lorsque des groupes ethniques s’opposent dans des luttes armées, la langue peut permettre d’identifier les adversaires. On peut citer les Serbes, les Croates et les Bosniaques musulmans, appartenant tous au groupe plus large des Slaves du Sud, reconnaissables par les différences dialectales régionales et qui ont pu s’opposer lors des conflits dans les Balkans.


Les revendications liées à la langue, et donc à la culture, peuvent avoir une forte valeur symbolique, comme la proclamation du luxembourgeois comme langue nationale au Luxembourg en 1984 qui témoigne d’un réveil identitaire et linguistique en opposition avec l’imposition de la langue allemande. Le luxembourgeois était en effet utilisé en réaction au régime nazi et revendiqué comme tel. Si aujourd’hui ces deux langues coexistent, avec le français, sur le territoire, la langue locale conserve, de par son histoire, une grande importance tant politique que sociologique.


De même, la langue officielle ou légale d’un pays peut être utilisée comme un instrument d’hégémonie et ainsi conduire au soulèvement de populations. C’est le projet de loi visant à abolir l’usage de l’ossète en Ossétie du Sud qui a conduit à la guerre civile en 1991 entre l’Ossétie du Nord et l’Ossétie du Sud, agissant comme un déclencheur de révoltes. L’histoire des conflits dans les Balkans est elle aussi fortement impactée par les facteurs ethnosociolinguistiques.


De même, les révoltes des Kanaks dans les années 1980 avaient pour but de mettre fin à une exclusion sociale et économique, mais aussi de s’opposer à la disparition de leurs langues-culture. Le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie a par la suite été inscrit dans la Constitution française par la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999, permettant aux peuples Kanaks de conserver leur langue et de l’utiliser dans le système éducatif.


A ce sujet, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2006 (UNDRIP) en son article 13 affirme que “Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures [...], leur langue”. La liberté d’expression et de production artistique dans toutes les langues doit être garantie. La langue a une place centrale dans l’identité des peuples autochtones et est mentionnée à de nombreuses reprises dans cette déclaration.


Enfin, la langue peut avoir un impact dans la résolution des conflits armés et plus particulièrement dans les conséquences juridiques de ceux-ci. En effet, la langue dans laquelle se déroule les procès internationaux fait débats, étant avancé que les procès ne se déroulant souvent pas dans la langue des victimes, ces dernières ne peuvent se sentir incluses dans la procédure. Cette question a été soulevée à l’occasion des procès de membres du gouvernement du président syrien Bachar al-Assad pour crimes de guerres se déroulant en Allemagne et donc en allemand.


Les procès de la Cour pénale internationale (CPI) sont critiqués comme étant trop distants de la situation réelle des victimes, tant géographiquement que culturellement. La Cour a donc commencé à diversifier ses modes de communication, en ajoutant plus de traductions par exemple. Mais bien souvent le rôle de transmission de l’information est laissé à la société civile.


Ainsi, la langue parlée est un marqueur identitaire et peut à ce titre être tant un facteur d’unité au sein des groupes, qu’un un facteur de division lorsqu’elle n’est pas partagée. Sa forte valeur symbolique et culturelle lui donne une place primordiale dans la formation mais aussi dans la résolution des conflits armés, au cours de laquelle elle peut devenir un obstacle.


Sophie Lengrand



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