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Lory Cantinol

LE SOUDAN DU SUD, VERS UNE PAIX DURABLE ?

Après des décennies de conflit, le Soudan du Sud accède à l’indépendance en 2011. L’espoir de paix du plus jeune Etat de la planète est vite dissipé lorsque, deux ans plus tard, une rupture entre le président Salva Kirr et son vice-président Riek Machar, autrefois chefs de guerre alliés dans la guerre d’indépendance, déchire la scène politique du pays. Riek Machar devient alors le leader des troupes d’opposition au gouvernement. Cette rupture marquera le début de la guerre civile. A l’origine politique, le conflit a réveillé des rivalités ethniques déjà existantes, entre les Dinkas, ethnie majoritaire à laquelle appartient le président, et les Nuers dont est issu Riek Machar. Ces clivages politiques et ethniques ont également exacerbé des différends économiques autour du partage des ressources, pétrolières notamment, qui ont été instrumentalisées lors du conflit.

Les affrontements ont été d’une violence extrême et de nombreuses exactions ont été commises contre les civils. Une étude de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM) estime que près de 400 000 Sud-Soudanais ont été tués durant le conflit. D’autre part, deux millions de citoyens sont déplacés à l’intérieur du pays et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) estime que deux autres millions de personnes ont fui vers les pays voisins (Soudan, Ethiopie, Ouganda, République Démocratique du Congo), eux-mêmes touchés par des crises internes.


Où en est-on du processus de pacification ?


Le gouvernement national et le principal groupe d’opposition de Riek Machar sont parvenus, en 2015, à un accord de paix après l’échec de plusieurs cessez-le-feu entre 2014 et 2015. Néanmoins, celui-ci n’a pas été respecté et quelques heures seulement après sa ratification les hostilités ont repris. Sous la pression internationale, un nouvel accord de paix revitalisé a été ratifié en 2018 à Addis-Abeba, en Ethiopie.

Le gouvernement de transition prévu par cet accord a été formé en février dernier, incluant l’intronisation de Riek Machar au rang de Vice-président. Neufs gouverneurs sur dix ont été nommés et seule la question du gouverneur de la région du Haut-Nil reste en suspens, freinant la lutte contre les violences intercommunautaires. Malgré des avancées politiques, la mise en œuvre de certaines dispositions de l’accord de paix stagne et les nombreux retards laissent craindre le report de la date des élections prévues à l’issue de la période de transition. D’autre part, bien que prévue depuis juillet 2019, l’unification des forces de l’armée nationale et d’opposition n’est toujours pas effective. Le 23 novembre dernier, la ministre de la défense a, une fois de plus, repoussé l’échéance à 2021, sans date précise. Aussi, la reconstitution de l’Assemblée législative nationale est toujours attendue.

Une dépendance accrue à l’aide humanitaire


Ravagé par une guerre sans fin, le Soudan du Sud connaît une situation économique grave. En effet, l’insécurité rend les relations commerciales et le transport de marchandises presque impossibles. A cela s’ajoute une absence d’infrastructures qui s’explique par le délaissement précoce de la région par les investisseurs étrangers, principalement concentrés dans le nord du pays.

Le Sud Soudan est également la cible de catastrophes naturelles régulières qui ne font qu’aggraver l’instabilité économique du pays. Le pays subit pour la deuxième année consécutive de fortes inondations qui, en plus d’être responsables de la destruction de nombreuses habitations, noient les récoltes, privant les habitants de moyens de subsistance (73000 tonnes perdues en 2019). S’ajoutent à cela des invasions acridiennes qui détruisent également les cultures. Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU alerte sur « des niveaux stupéfiants d’insécurité alimentaire aigue et de malnutrition ». 6,5 millions d’habitants sont actuellement confrontés à une grave insécurité alimentaire et les prévisions annoncent 1 million de plus en juillet 2021, soit près de 60 % de la population totale du pays. D’autre part, de nombreux civils sont encore déplacés au sein du pays et dans les pays voisins.

L’ONG Médecin sans frontières alerte aussi sur la quasi-absence de système sanitaire et un accès aux soins difficile, avec en moyenne 1 médecin pour 65 000 habitants. Une grande part de la population est donc entièrement dépendante de l’aide humanitaire tant pour l’accès à l’alimentation qu’à l’eau potable, aux soins médicaux et à l’éducation. Les ONG humanitaires sont cependant limitées par l’insécurité dans la région, l’entrave arbitraire par les différents groupes armés mais également l’enclavement de certaines régions, décuplé par les inondations. Le manque de stabilité économique et d’autonomie des populations vis-à-vis de l’aide humanitaire laisse difficilement entrevoir une paix durable.


La lutte contre l’impunité indispensable à une paix durable

Comme l’a souligné Barney Afako, expert de la Commission pour le Sud Soudan, il est difficile, voire « illusoire », d’envisager une paix durable sans la mise en œuvre du processus de justice transitionnelle. Ce mécanisme est prévu dans l’accord de paix pour « enquêter et poursuivre si nécessaire les individus responsables de violations du droit international et/ou de la loi Sud Soudanaise commises entre le 15 décembre 2013 et la fin de la période de transition ». L’instauration d’une juridiction ad hoc, le Tribunal hybride pour le Soudan du Sud, permettrait de condamner les auteurs des nombreuses exactions commises contre les civils par les différentes parties au conflit. Les violations du droit humanitaire sont nombreuses. Parmi celles-ci, la faim et les violences sexuelles utilisées comme armes de guerre à l’encontre des populations récalcitrantes ainsi que les massacres et pillages, les détentions arbitraires, les actes de torture, le recrutement d’enfants soldats, etc. Selon l’ONU il existerait également un risque élevé de génocide.

Pour que ce tribunal entre en fonction, le Sud Soudan devra se résoudre à signer le protocole d’accords avec l’Union Africaine et à modifier son droit interne. Faute d’une volonté politique forte, plusieurs ONG font pression sur l’Union Africaine pour qu’elle procède unilatéralement à la création du Tribunal. Cependant, la coopération du gouvernement est nécessaire pour qu’il puisse fonctionner correctement. Un compromis politique a certes été trouvé entre les deux leaders et le conflit connaît un apaisement, mais plusieurs groupes d’opposition ne sont pas parties à l’accord. De fortes vagues de violences intercommunautaires persistent, localisées principalement dans le nord-est du pays. Une fois de plus leurs auteurs ne sont pas inquiétés par les juridictions internes, le système judiciaire étant paralysé par son manque d’indépendance. Il est primordial que le gouvernement lutte contre cette impunité générale afin de « mettre fin à ces cycles de violences de représailles » au profit d’un dialogue politique sans quoi la paix demeurera fragile et partielle.


Dix ans après avoir accédé à l’indépendance, la paix est encore fragile au Soudan du Sud. L’espoir d’une paix durable est teintée par la désillusion de la population face à des accords de paix successifs et vains. A ceci s’ajoute la méfiance que celle-ci entretient envers ses dirigeants suite aux nombreux crimes commis par les différentes parties au conflit et restés impunis. Le Conseil de sécurité a décidé de reconduire le mandat de la Mission des Nations Unies pour le Soudan du Sud (MINUSS) jusqu’au 15 mai 2021. D’autre part, l’embargo sur les armes ainsi que la Commission sur le Soudan du Sud ont également été prolongés. Le processus de pacification du pays progresse, mais un accord de paix global et inclusif serait nécessaire. L’accord de paix de 2018 a été exécuté de manière plus efficace que le précédent mais son exécution reste incomplète et limitée. De plus, le manque de stabilité économique du pays, l’absence d’infrastructures, d’indépendance de la justice et de lutte contre l’impunité contreviennent au processus de pacification. Une paix durable au Soudan du Sud reste donc un véritable défi dans un pays dévasté par des décennies de guerre, où tout est à reconstruire.


Lory Cantinol

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