Chaque année, l’Asie du Sud-Est est concernée par ce qu’on appelle la mousson. Généralement perçue comme la saison des pluies, c’est en réalité une des conséquences de ce phénomène météorologique : la mousson est un vent saisonnier, soufflant alternativement six mois dans une direction, six mois dans la direction opposée, et apportant des changements climatiques très importants, généralement une alternance de climat très sec et de climat très humide. Bien que ce phénomène soit naturel, il reste une véritable épreuve pour les populations touchées. Le Viet Nam étant géographiquement étendu, le climat est différent selon la localisation. Pour les régions du centre et du sud, les mois de septembre et octobre sont rythmés par les changements de moussons, ce qui favorise la formation de typhons s’abattant ainsi sur le littoral. Après cela, les mois de novembre et décembre sont sujets à de fortes inondations dûes aux pluies. Près de 70% des vietnamiens vivent dans des zones à risques par rapport aux catastrophes naturelles liées à l’eau. Deux typhons ont été particulièrement dévastateurs au Viet Nam l’année dernière. En septembre, le typhon nommé Doksuri a été déclaré catégorie 3 sur 5 selon l'échelle d’intensité de Saffir-Simpson. Après avoir dévasté les Philippines, il a nécessité l’évacuation de près de 80 000 personnes dans les provinces menacées et a causé une dizaine de morts. En novembre, c’est cette fois le typhon Damrey qui a provoqué des ravages : 49 personnes sont décédées selon les autorités locales et Damrey a été répertoriée comme la tempête la plus forte dans la région depuis des dizaines d’années. Chaque année, c’est près d’une vingtaine de tempêtes tropicales qui frappent le Vietnam. En 2017, d’après les chiffres officiels, plus de 380 personnes sont mortes ou ont disparu dans ces intempéries. Sur les 20 dernières années, on compte près de 13 000 personnes tuées à cause des catastrophes naturelles et 6 milliards d’euros de dégâts. Les typhons provoquant ainsi inondations et glissements de terrain perturbent la vie quotidienne des Vietnamiens : fermeture des écoles, coupure d’électricité, dégâts matériels considérables, etc. et ceci, pendant plusieurs jours, le temps que l’eau s’évacue. De nombreux témoignages parlent d’une véritable paralysie. On entend dire que la population est habituée à tout cela ; ce qui est en partie le cas : dans certaines villes telle que Hoi An, les maisons sont aménagées avec un étage de telle manière à ce que le rez-de-chaussée soit composé de peu de choses, afin de pouvoir facilement déplacer le mobilier. Encore faut-il avoir les moyens de bâtir une maison avec un étage. Ainsi, lorsque la population est avertie du danger, les évacuations sont fréquentes ; très souvent, le chef de famille reste à la maison, le reste de la famille se réfugiant dans un lieu sûr. Malgré ce phénomène annuel, on peut constater que ces phénomènes météorologiques sont de plus en plus puissants. Une étude sur les risques climatiques de l’Asie menée par l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique (PIK) ainsi que la Banque asiatique de développement a démontré que l’Asie Pacifique est une des zones les plus sensibles au changement climatique. Les zones côtières asiatiques sont sur la ligne de front du fait des nombreuses conséquences du réchauffement planétaire. En effet, le changement climatique en cours a pour effet, entre autres, d’augmenter la température des océans. Une étude a montré une croissance des tempêtes tropicales depuis plus de trois décennies, et ce en parallèle avec l’élévation des températures moyennes des océans. Les typhons ayant frappé l’Est et le Sud-Est de l’Asie auraient gagné entre 12 et 15% d’intensité ces 30 dernières années. Le Delta du Mékong est peut-être le cas le plus significatif du Viet Nam quant à cette problématique. Située au Sud du pays, c’est une zone très peuplée (18 millions soit 1/5 de la population vietnamienne) dans laquelle les populations vivent essentiellement de l’agriculture et de la pêche. Il faut noter à ce sujet que cette région produit plus de 50% de l’alimentation de base du Viet Nam et est ainsi nommée « le grenier à riz du Viet Nam ». Cette région est particulièrement affectée par les inondations du fleuve du Mékong. Bien que ces inondations soient une nécessité pour l’activité économique de la région, si ces dernières dépassent la norme « de profondeur d'inondation normale », cela peut avoir des conséquences néfastes sur les cultures. De plus, la montée des eaux a déjà eu des impacts : la salinisation rend la culture du riz impossible, tandis que l’érosion du littoral peut se mesurer à certains endroits à une centaine de mètres. À cela s’ajoute l’affaissement des sols, dû à la surexploitation des nappes phréatiques. On ne peut nier ces phénomènes qui accentuent davantage la vulnérabilité et la précarité des moyens de subsistance, incitant la population à migrer. Et la migration est déjà palpable. Que ce soit vers les grandes villes dans le Delta du Mékong (comme Ca Mau ou Can Tho) ou vers Ho Chi Minh-Ville, la plus grande ville de la région, c’est près d’un million d’habitants qui ont émigré durant ces dix dernières années ; ce taux étant deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Des universitaires vietnamiens de la faculté de l’Environnement et de la Biotechnologie ont récemment montré que le changement climatique constitue la raison principale de migration pour 14,5 % de ceux qui quittent le delta du Mékong. Quant à la population qui reste, les raisons se rapportent de près ou de loin à la famille ("grandparents live here") ou simplement au manque de moyens, les familles pauvres étant les premières impactées. En plus de la migration spontanée, le gouvernement vietnamien a conçu des « programmes de réinstallation » ; le premier a été lancé après la fin de la guerre américaine en 1975. Depuis 1996, le gouvernement met à profit ces programmes pour les besoins engendrés par les changements climatiques. Par exemple, en 2000, suite à une grave inondation, un programme appelé « Living with Floods » a été créé pour relocaliser près de 90 000 familles dans le Delta du Mékong entre 2009 et 2013. Outre cela, le gouvernement semble prendre ce problème au sérieux. Au niveau international, le pays a ratifié la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) en 1994 et le protocole de Kyoto en 2002. Lors de la COP 21, le Premier ministre Nguyên Tân Dung a annoncé que le Viet Nam s’engageait, entre autres, à diminuer de 8% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. De plus, des partenariats se forment avec d’autres pays, comme avec l’Agence Française de Développement (AFD). Au niveau national, de nombreuses stratégies ont été annoncées en faveur de la lutte contre le changement climatique ou dans l’objectif de s’adapter à ces changements majeurs, telles que la construction de digues ou la substitution de la riziculture par la culture de la crevette. Les agences nationales telles que le Comité central vietnamien pour le contrôle des inondations et des tempêtes ou le département de météorologie et d’hydrologie vietnamien ont amélioré leurs systèmes de surveillance des tempêtes afin de prévoir les zones d’impacts et de réagir à temps. Et les prévisions pour l’avenir ne sont pas réjouissantes ! Selon le Département général de météorologie et d'hydrologie du pays, la chaleur ainsi que les typhons arriveront précocement pour l’année 2018, avec une multiplication des crues et des glissements de terrain. Sur le long terme, les données scientifiques ne sont pas au beau fixe. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) prévoit que la température annuelle pourrait augmenter entre 2 et 3 degrés d’ici 2100, avec une élévation du niveau de mer entre 42 et 72 cm dans certaines régions et une augmentation des précipitations de 150% au Nord du pays. Il y a de fortes chances que cela ait pour conséquence de remodeler le paysage vietnamien ainsi que sa répartition géographique ; la question des déplacés climatiques sera plus que d’actualité mais la réponse sera inexorablement tardive. Bien que, de nos jours, la migration vietnamienne soit essentiellement économique, le changement climatique ne pourra qu’accentuer ce flux migratoire, exacerbant ainsi les tensions déjà existantes. A l’heure où le changement climatique met en péril les avancées du développement en Asie, il est grand temps de relever le défi du dérèglement climatique en apportant une solution durable et équitable afin de pallier les lourdes conséquences qui sont bel et bien déjà présentes.
Marie Laudat Marie n'est pas membre de RÉESAH, mais est étudiante. Elle effectue un stage au Viet Nam et l'association lui a donc proposé de publier son article.
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