top of page
  • reesahaixmarseille

LE VIOL : ARME DE GUERRE INVISIBLE

"Aujourd’hui, les batailles se passent sur le corps des femmes […] Une stratégie de guerre bon marché et redoutablement efficace." Ces mots de Denis Mukwege, gynécologue congolais et prix Nobel de la Paix en 2018, sont lourds de sens. Dans un monde où la façon de faire la guerre évolue, certaines techniques, malheureusement, persistent. Depuis la fuite des Hutus et des Tutsis suite au génocide rwandais de 1994, l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) est le terrain d’un affrontement entre milices armées. Le cœur du conflit réside dans la quête de territoires, visant l’exploitation des ressources minières dont regorge le pays. Pour cela, les différentes milices et groupes armés ont instauré un règne de la terreur, n’hésitant pas à massacrer les hommes et les enfants des villages. Sur les femmes, une arme de guerre en plus est utilisée : le viol. La RDC est le pays le plus touché par les violences sexuelles. Ces vingt dernières années, près de 500 000 femmes ont été violées. Cependant, ces viols ne visent pas à assouvir une pulsion mais à détruire physiquement et psychologiquement ces femmes, ainsi que leur communauté. Leurs organes génitaux sévèrement mutilés, les femmes de tout âge sont prises pour cibles. Certaines sont capturées par leurs tortionnaires et abusées à plusieurs reprises. Elles doivent alors fuir - lorsqu’elles y parviennent - afin de pouvoir recevoir des soins médicaux. Les mères de famille sont parfois abusées devant leurs enfants, et quelque fois même contraintes à des pratiques incestueuses forcées. Ces victimes se trouvent alors rejetées par leur communauté, considérées comme « sales ». Cette pratique traverse malheureusement les frontières. En Birmanie, les femmes Rohingyas sont victimes de viols commis par les soldats birmans. Les Rohingyas sont une minorité musulmane, qui vivait en Birmanie. En août 2017, l’armée birmane attaque les villages, en réaction aux attaques commises par l’ARSA (Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan) contre les hindous et les bouddhistes. Ces représailles ont détruit 362 villages et contraint plus de 700 000 Rohingyas à fuir au Bangladesh pour éviter les violentes répressions. Il ressort des témoignages que les soldats avaient recours au même mode opératoire: ils entraient dans les villages, ouvraient le feu, violaient les femmes, massacraient les hommes et les enfants, et brulaient les habitations et les terres. Ces accusations ont toujours été rejetées par les autorités birmanes. Aucun chiffre officiel ne fait état du nombre de femmes Rohingyas violées lors des attaques par l’armée birmane. Pour celles qui ont réussi à survivre et à rejoindre le Bangladesh, la peine est double. En effet, nombreuses sont celles qui ont donné naissance à des enfants issus de ces viols. Dans cette société, la femme violée est stigmatisée par son entourage. Elle est alors rejetée et considérée comme impure. Ces « enfants de la honte », né apatride, n’ont aucun avenir puisque rejetés dès leur naissance. Dans ce contexte, le viol a été utilisé comme un instrument de nettoyage ethnique visant à faire fuir définitivement cette communauté en engendrant la crainte. Cependant, les femmes ne sont pas les seules cibles de viols dans les conflits armés. En Libye, durant la révolution de 2011, le dirigeant Kadhafi aurait commandité l’utilisation de viols sur les hommes comme arme pour rétablir l’ordre dans le pays. Depuis sa chute, cette pratique n’a pas cessé, bien au contraire. Ce pays, où les gouvernements s’affrontent et où les milices contrôlent les villes, est toujours dans une situation instable. Actuellement, il y aurait plus de 100 milices différentes en Libye, qui correspondent chacune aux tribus dont elles sont issues. Les victimes de Kadhafi veulent se venger et commettent à leur tour ce qu’ils ont connu. Depuis 2011, l’ONG « We Are not Weapons of War » a recensé plus de 700 victimes. Les abus ont principalement été constatés sur des prisonniers. Il faut noter qu’en Libye, tout lieu peut devenir une prison et les milices en créent arbitrairement. Certains prisonniers sont contraints de s’imposer à eux-mêmes des sévices avec des bâtons pour avoir le droit de manger, d’autres sont forcés de violer les autres détenus sous peine de connaître le même châtiment. A leur sortie, ces hommes vivent rejetés, honteux de ce qu’ils ont vécu et dans la peur permanente que ça se sache. Ils sont alors soumis à vie à leurs bourreaux. Contrairement à la signification réduite du viol - à savoir assouvir une pulsion sexuelle -, les viols de guerre sont un moyen de destruction d’un groupe ethnique, visant à anéantir l’adversaire et à le faire céder. Cette arme est sournoise puisque invisible, elle n’apparaît que si la victime parle. Dans le cas libyen, très peu d’hommes acceptent de témoigner, ce qui rend la preuve de ce crime particulièrement difficile. En effet, le viol de guerre est le crime le plus difficile à faire émerger. L’impunité est un problème majeur dans le domaine. La problématique est d’autant plus complexe lorsque le bourreau est du côté du pouvoir en place. Quels sont les moyens mis en place pour lutter contre cette arme ? Les viols de guerre ont été tacitement acceptés pendant des siècles. Le Conseil de sécurité des Nations Unies est tout de même intervenu en 1992 en affirmant que les viols massifs de femmes lors du conflit en Bosnie-Herzégovine constituaient « un crime international qu’on ne pouvait ignorer ». De plus en plus, la justice internationale cherche à agir contre l’impunité de cette pratique. En septembre 2018, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a annoncé la mise en place d’un organe chargé de réunir les preuves des crimes commis sur les Rohingyas pour qu’elles soient utilisées devant des tribunaux. En Lybie et en République Démocratique du Congo, la situation est plus complexe. En RDC, la corruption de la justice est pointée du doigt, ce qui empêcherait les coupables d’être condamnés. En Lybie, un groupe de militants exilés en Tunisie ainsi que Céline Bardet, enquêtrice criminelle et juriste internationale, préparent un dossier pour qu’il soit défendu devant la Cour Pénale Internationale (CPI). Au niveau de la CPI, c’est dans son Statut - entré en vigueur en 2002 - que le viol est reconnu comme pouvant être constitutif d’un crime de guerre. Dès lors qu’il est commis de manière généralisée et systématique, il peut être qualifié de crime contre l’humanité. C’est ce qui a été retenu le 21 juin 2016. La CPI a condamné le congolais Jean-Pierre Bamba pour les viols qu’il a ordonnés en République Centre Africaine. Cette décision est une première, puisque l’accusé n’a pas été condamné en tant qu’auteur mais en qualité de commandant. Ce cas fait désormais jurisprudence et apporte un espoir pour les victimes qu’à leur tour, un jour, justice soit faite.


Marie Thomas

18 vues0 commentaire

Comments


bottom of page