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Luca Raggiri-Mary

LES ATTEINTES AUX DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES AU TEMPS DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

La transition énergétique est présentée comme l’arme principale pour lutter contre le réchauffement climatique, le plus grand défi du XXIème siècle, pour bon nombre d’observateurs. Elle repose sur une modification de la demande - la consommation d’énergie doit être réduite grâce à l’efficacité énergétique et la sobriété énergétique - et de l’offre, en décarbonant le mix énergétique - notamment grâce au développement des énergies dites renouvelables, qui viendront remplacer les énergies fossiles. C’est ce second aspect qui nous intéressera ici.


Marche des Amérindiens à Cayenne le 9 août 2013 pour la journée des peuples autochtones de Guyane

Les droits des populations autochtones ont été recensés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), adoptée en 2007 par l’Assemblée Générale des Nations unies. Ce texte avait été premièrement rejeté par l’Australie, le Canada, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, des États aux ressources fossiles conséquentes et comptant parmi leur population une part relativement importante de peuples autochtones, d’où leurs réticences. Toutefois, sous la pression, ces quatre États réfractaires ont fini par voter en faveur de la Déclaration. Bien que juridiquement non contraignante, celle-ci a permis quelques victoires pour les peuples autochtones en constituant le socle de nombreuses lois nationales protégeant leurs droits. Par exemple, en se fondant sur les conséquences climatiques d’un projet de charbon sur leurs droits culturels (article 3 de la DNUDPA), une union entre jeunes aborigènes et défenseurs de l’environnement a réussi à convaincre un tribunal du Queensland [région australienne] de prononcer l'interdiction de la future mine.


Malgré la persistance d’atteintes aux droits des peuples autochtones à l’occasion de projets fossiles – notamment avec le passage d’oléoducs – la prise de conscience débutée il y a plusieurs années et renforcée par la victoire médiatisée des Sioux contre le Dakota access pipeline en 2020 semble être de bonne augure pour l’amélioration de leur situation. Aussi, les énergies fossiles étant prétendument sur le déclin, ce type de projet devrait se faire de plus en plus rare, et être remplacé par des énergies renouvelables, à qui l’on pare toutes les vertus. Seulement, la transition énergétique porte elle aussi son lot de désolations à l’encontre de ceux qui, encore, vont subir les violations de droits qu’ils commencent difficilement à acquérir.



« Bien que juridiquement non contraignante, [la DNUDPA] a permis quelques victoires pour les peuples autochtones en constituant le socle de nombreuses lois nationales protégeant leurs droits. »



Une manière effective de protéger des droits autochtones serait de mettre en place des réglementations contraignantes et de veiller à ce qu’elles soient respectées. En 2018, le Parlement européen a ainsi recommandé aux États membres de l’Union européenne de ratifier la Convention n° 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail, ce que s’est empressée de faire l’Allemagne, à la différence de la France qui s’y est opposée en 2019. Cette carence a ressurgi à la fin de l’année 2022, dans le cadre de la contestation d’une centrale électrique photovoltaïque dans l’Ouest guyanais. Sans que le peuple Kali’na n’ait véritablement été concerté, la société HDF Energy a réussi à obtenir l’autorisation de l’implantation de son projet sur des terres autochtones de « subsistance ». Une plainte reposant sur la protection de la biodiversité avait été déposée par une association locale en mars 2022, mais le tribunal administratif de Guyane a rejeté la demande d’arrêt des travaux. Lourdement réprimées lors d’une manifestation pacifiste qui a mené à l’arrestation de leur chef, les populations locales se sentent démunies.


Afin de venir en aide au village Prospérité dans lequel vit le peuple Kali’na - mais surtout de manière à anticiper d’autres cas similaires - la sénatrice du Val-de-Marne Mme Laurence Cohen s’est adressée au gouvernement français pour qu’il inscrive la ratification de la Convention 169 à l’agenda parlementaire. Dans un second temps, il reviendrait au Conseil des sages de se prononcer sur sa constitutionnalité, ce qui n’a encore jamais été fait. Pourtant, en 2019, le gouvernement français avait motivé son refus d’adopter cette convention en raison de sa prétendue inconstitutionnalité. Celui-ci s'était fondé sur la décision 290 DC prononcée le 9 mai 1991 par le Conseil constitutionnel, dans laquelle il énonce, à l’occasion d’un différend concernant le « peuple » corse : « la Constitution […] ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Une telle jurisprudence implique qu’il serait donc impossible de différencier quelconque peuple se trouvant sur le sol français et de lui conférer des droits propres, car il n’y aurait qu’un seul peuple français.



« En 2018, le Parlement européen a ainsi recommandé aux États membres de l’Union européenne de ratifier la Convention n° 169 [...], ce que s’est empressée de faire l’Allemagne, à la différence de la France qui s’y est opposée en 2019. »



Le devoir de vigilance, une autre invention juridique française consacrée dans une loi de 2017, a été utilisé par une communauté autochtone mexicaine pour assigner EDF devant le tribunal judiciaire de Paris. Dans le cadre d’un projet prévu dans le district d’Oaxaca [sud-est du Mexique], le géant français de l’énergie n’aurait pas consulté le peuple autochtone résidant sur les terres de la communauté Unión Hidalgo censées accueillir les futures éoliennes. Encore une fois, c’est autour de la question du consentement que se noue le conflit, qui a débuté à l’automne 2020. Cette affaire s’est conclue par l’annulation des contrats liant EDF au district, signifiant donc l’abandon du projet.


Le chantier d’envergure qu’est la transition énergétique ne se limite pas à l’installation de parcs éoliens ou photovoltaïques, il demande également l’acquisition de matériaux nécessaires à la construction de ces infrastructures. L’extraction de métaux et de terres rares se trouve donc au cœur des préoccupations des industriels et des peuples autochtones, mais pas pour les mêmes raisons. Les premiers voient dans ce nouveau marché florissant des perspectives économiques enthousiasmantes, mais les seconds redoutent que leurs terres soient une nouvelle fois menacées. Le lithium est, à ce titre, un élément indispensable à la réussite de la transition énergétique. En raison de son omniprésence dans les batteries – voitures, vélos électriques, téléphones - la demande de ce métal va être multipliée par 42 d’ici 2040. L’Amérique du Sud possède de grandes réserves de lithium, nous laissant déjà assister à une véritable explosion des activités extractives en Argentine, en Bolivie ou encore au Chili. Toutes ces activités nécessitent beaucoup d’eau ; or, dans des zones aussi sèches, les conséquences sont désastreuses. Un collectif de femmes Diaguitas - terme désignant des peuples autochtones répartis entre le Chili et l’Argentine - a vu le jour afin de dénoncer ce ravage environnemental, qui touche notamment une « rivière ancestrale » de la cordillère des Andes. Leur lutte s’annonce déjà longue et il ne fait aucun doute que d’autres l’accompagneront.


À travers ces différents cas d’espèce, nous remarquons qu’à défaut d’avoir un véritable arsenal de droits propres reconnus au niveau international, les peuples autochtones essayent, tant bien que mal, de défendre leurs terres par le biais d’outils juridiques nationaux. Malheureusement, les maigres victoires ont lieu régulièrement a posteriori, une fois que des dégâts irréversibles ont été portés à leurs terres ancestrales, auxquelles ils sont liés spirituellement. Si ces victoires sont porteuses d’espoir, il ne faut pas oublier que cela arrive souvent après qu’un mal indélébile a été causé.


Luca Raggiri-Mary


Image © - AFP/ Jody Amiet

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