La pandémie de Covid-19 « menace l’humanité entière » a déclaré Antonio Guterres, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le 25 mars 2020. C’est en ce sens qu’il avait lancé un appel, le 23 mars, « à un cessez-le-feu immédiat, partout dans le monde » et ce dans le but de préserver, face à l’épidémie, les personnes les plus vulnérables dans les pays en conflit. Il ajoutait alors que « le virus n’épargne aucune nationalité, communauté ou religion. Il attaque tout le monde sur son passage, implacablement. Pendant ce temps, les conflits armés continuent de faire rage dans le monde ». Ces déclarations révèlent qu’en temps de pandémie et de crise sanitaire, l’impact sur les populations à travers le monde est indéniable. Toutefois, dans des pays déjà affaiblis par de violents conflits armés, les conséquences d’une telle épidémie sont encore plus importantes. Une problématique d’actualité Si la pandémie à laquelle l’humanité est aujourd’hui confrontée est aussi dévastatrice et singulière, c’est parce qu’il n’y a pas eu de crise comparable, affectant ainsi de plein fouet à la fois des pays qui d’ordinaire sont des pays donateurs, et des pays bénéficiaires de l’aide humanitaire. Ces pays bénéficiaires sont souvent ébranlés par des conflits armés et en état de crise humanitaire. Pour pallier le développement du virus dans les zones de conflit, le besoin de « mobilisation immédiate et concertée » des États et des organisations humanitaires se fait sentir. Une telle propagation serait désastreuse pour ces pays où les infrastructures médicales sont réduites en ruines, les populations souffrent d’insécurité alimentaire et des personnes déplacées doivent vivre dans des camps surpeuplés où l’application des mesures d’hygiène élémentaires et de distanciation sociale sont ainsi impossibles à réaliser en raison du manque d’eau potable, de savon et de la surpopulation. Lorsque des structures de santé locales sont encore viables, elles manquent cruellement de moyens et de personnel permettant d’assurer le dépistage et la prise en charge des patients. Dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 au Moyen-Orient, le Yémen et la Libye ont d’abord salué l’appel de l’ONU à cessez-le-feu afin de « préparer le terrain » pour prévenir la propagation de l’épidémie, avant de reprendre rapidement les hostilités. Au Yémen, les ONG craignent particulièrement la propagation du virus. En effet, ce pays souffre de la pire crise humanitaire au monde, selon l’ONU, et son système de santé ne serait pas en mesure d’assumer les innombrables patients. À titre d’exemple, à Idlib, les personnes déplacées dans leurs propres pays et les réfugiés sont particulièrement exposés au virus et à sa propagation du fait de leurs conditions de vie déplorables et de leur accès très restreint aux soins de santé. L’infime opportunité qu’ils avaient d’être réinstallés dans des lieux plus sûrs est ainsi désormais exclue du fait du Covid-19. Le Yémen est en plus particulièrement vulnérable aux épidémies, déjà en 2017, le porte-parole de l’UNICEF au Yémen, Bismark Swangin, rapportait que l’épidémie de choléra était la conséquence directe du conflit. En effet, les infrastructures de base avaient été détruites et le réseau d’eau tout comme le système de santé particulièrement affectés, ce qui avait favorisé la prolifération de la maladie transmise par la consommation de boissons ou d’aliments souillés. Une problématique ancrée depuis longtemps Si la pandémie de Covid-19 a fait ressortir des problématiques liées aux conditions d’existence des populations confrontées aux affrontements violents, ce n’est malheureusement pas la première fois qu’une épidémie influe ainsi sur des conflits armés au sein d’un État. Un exemple probant est celui de l’épidémie d’Ebola apparue en août 2018 à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) que l’OMS avait caractérisée le 17 juillet dernier d’« urgence de santé publique de portée internationale ». Dans ce pays, et particulièrement à Beni l’épicentre de l’épidémie, les populations souffrent d’insécurité du fait de la présence des groupes armés et notamment d’une rébellion ougandaise connue pour ses massacres et enlèvements de civils, ce qui rend les interventions médicales très compliquées. Jusqu’à la réapparition d’Ebola en RDC, la population congolaise se sentait délaissée par la communauté internationale et les humanitaires se sont alors largement mobilisées, craignant notamment la propagation du virus à travers l’Afrique des Grands Lacs et en Afrique Centrale. Ce regain d’intérêt a été accueilli avec suspicion par la population se sentant instrumentalisée, certains pensant même que les médecins avaient inventé cette maladie pour gagner de l’argent et décimer la population avec leurs vaccins. Ce sentiment d’abandon de la population aurait aussi été exploité par les groupes armés à des fins politiques et financières, selon Sylvain Kanyamanda le maire de la ville de Butembo. Il rapporte que la lutte contre le virus Ebola a été la victime de ces groupes armés puisque deux centres de traitement ont été attaqués par des groupes d’autodéfense « en brûlant les centres de santé, il sème la pagaille à l’Est et nourrit un sentiment anti-riposte à Ebola auprès des populations », affirme-t-il. La colère de la population se ressent aussi fortement, à titre d’exemple, l’expression « No Ebola no money » s’est répandue sur les réseaux sociaux, illustrant la frustration des habitants des zones à risque face à cet afflux d’argent soudain consacré à la lutte contre l’épidémie. Dans un rapport de 2014 analysant l’épidémie du virus Ebola en Guinée, au Libéria et au Sierra Léone, Crisis Group estimait ainsi que lorsque la confiance envers les autorités est altérée, il peut être difficile de convaincre les populations de suivre des directives de santé publique, du fait de la désinformation et des tensions politiques récurrentes. Une autre épidémie au caractère dévastateur est celle du VIH en Afrique qui constitue un problème de santé publique, mais également de sécurité internationale. Stephan Elbe, académicien, considère que l’épidémie de sida a modifié le « paysage des conflits armés en Afrique » et notamment du fait de l’utilisation du VIH comme arme de guerre. Il estime que les civils deviennent des cibles stratégiques et que les viols font partie de l’arsenal militaire. Si cela semble difficile à prouver, l'Onusida fait état de « cas documentés d’utilisation du virus du sida comme arme de guerre » dans les conflits au Libéria, au Mozambique, au Rwanda et en Sierra Leone par des militaires et groupes armés, s’appropriant ce virus comme arme biologique et psychologique contre les civils. Biologique par la transmission délibérée du virus par des soldats se sachant infectés et psychologique par la peur des populations de contracter la maladie, cette peur étant accentuée par la stigmatisation dont sont victimes les personnes infectées au sein des communautés. Perspectives Les populations des pays en proie à des conflits armés se retrouvent ainsi démunies face à l’apparition d’épidémies et, s’il est encore trop tôt pour prédire les conséquences qu’aura le Covid-19 à leur égard, Peter Maurer, le président du CICR, estime que cet impact « sur les victimes de la guerre est terrifiant ». C’est pour cela qu’Antonio Guterres avait lancé un appel général à poser les armes en soulignant que c’est « essentiel pour établir des couloirs d’aide humanitaire qui sauveront des vies ». Toutefois, les appels aux cessez-le-feu du Secrétaire général de l’ONU, d’abord salués par des groupes armés au Cameroun et aux Philippines ainsi que par les belligérants saoudiens au Yémen, n’ont été que très peu respectés en pratique. En effet, le cessez-le-feu n’a été que temporaire au Cameroun et les hostilités ont repris peu après au Yémen.
Mélanie Canovas
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