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  • Julia Bourget

LES LACUNES DE LA PROTECTION DES PERSONNES HANDICAPÉES DANS LES CONFLITS ARMÉS

Dernière mise à jour : 18 avr. 2021

La Convention relative aux droits des personnes handicapées définit ces dernières comme des personnes présentant « des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables [et] dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à [la] pleine et effective participation à la société ». Il est estimé qu’environ 15% de la population mondiale est concerné par cette définition. L’accès aux services essentiels à la survie, tels que l’eau, la nourriture, la santé et l’abri, est déjà difficile pour ces personnes en situation de paix. Les conflits armés, qui causent une désorganisation totale de la société, exacerbent particulièrement ce manque d’accessibilité. Selon l’ONG Handicap International, 75% de cette population n’a pas accès aux services de base dans l’ensemble des contextes humanitaires. De plus, en temps de conflit, le nombre de personnes handicapées physiquement et psychologiquement augmente, notamment en raison des fréquentes attaques contre la population civile. De même, le risque de violences sexuelles augmente pour ces personnes. Leur potentiel de défense étant considérablement affaibli par leurs diverses incapacités, les personnes handicapées se trouvent particulièrement vulnérables en temps de conflit.


Les outils du droit international de la protection des personnes handicapées en situation de conflit armé


En raison de cet impact particulièrement fort des conflits armés sur les personnes handicapées, il est essentiel de leur accorder une protection prenant en compte leurs besoins spécifiques et les obstacles environnementaux auxquels elles peuvent être confrontées, en interdisant toute discrimination induite par leur handicap. En ce sens, le droit international humanitaire (DIH) prévoit des obligations positives pour les acteurs des conflits armés, tant étatiques que non-étatiques. En effet, le DIH a pour objectif premier de protéger la population civile, mais aussi plus spécifiquement les catégories de civils les plus vulnérables, comme les individus en situation de handicap.


Les Conventions de Genève protègent les blessés et les malades dans le cadre des conflits armés – l’article 8 alinéa a du premier Protocole additionnel de 1977 considérant que ces termes incluent également les personnes handicapées. L’article 30 de la troisième Convention de Genève prévoit par exemple des « facilités spéciales […] pour les soins à donner aux invalides, en particulier aux aveugles, et pour leur rééducation » au sein des camps de prisonniers de guerre. L’article 17 de la quatrième Convention de Genève, d’autre part, encourage les Parties au conflit à « conclure des arrangements locaux pour l’évacuation d’une zone assiégée ou encerclée » des personnes handicapées. De plus, le principe de précaution, principe classique du DIH, consistant à prendre toutes les précautions pour réduire l’impact du conflit sur la population civile, est tout particulièrement pertinent pour les personnes handicapées. Un rapport publié en 2019 par l’Académie de Genève de droit international humanitaire et de droits humains, recommande aux belligérants de prévenir en priorité les personnes handicapées de leurs futures attaques. Cet avertissement doit être donné encore plus tôt qu'au reste de la population civile, afin de garantir l’évacuation de toutes les personnes en situation de handicap.


Aussi, les armes pouvant causer des maux superflus ou des souffrances inutiles sont strictement prohibées, notamment dans le but d’éviter l’infliction de nouveaux handicaps. A ce sujet, plusieurs conventions internationales existent, notamment la Convention sur certaines armes classiques et ses Protocoles qui interdisent l’utilisation des armes incendiaires, des armes à laser aveuglantes, ou encore la Convention de Dublin sur les armes à sous-munitions (des armes libérant des charges explosives lors de l’impact avec la cible). Les restes explosifs disséminés sur le territoire, pouvant causer un grand nombre d’accidents à l’origine de handicaps, doivent également être pris en charge dès la fin des conflits. Les victimes doivent, en outre, recevoir des soins et une assistance afin de favoriser leur réinsertion socio-économique.


Outre le DIH, les personnes handicapées impactées par les conflits armés bénéficient de la protection du droit international des droits humains. Celui-ci s’applique en toutes circonstances, incluant ainsi les situations de conflits armés. Cette branche du droit international comprend, par exemple, la Convention relative aux droits des personnes handicapées, dont l’article 11 impose la protection de ces dernières « dans les situations de risque, y compris les conflits armés ». On peut également citer la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), qui prévoit la protection des personnes handicapées parmi les populations déplacées par les conflits.


Une population toujours en manque de protection


Malgré toutes ces mesures de protection fournies par le droit international, les personnes handicapées restent extrêmement vulnérables. C’est la raison pour laquelle une assistance humanitaire doit être apportée par des acteurs extérieurs au conflit, notamment des ONG. Toutefois, l’accès à cette aide extérieure peut être particulièrement difficile pour les personnes handicapées, en raison de leurs incapacités personnelles, mais aussi de la réticence de certains acteurs à donner accès aux populations sous leur contrôle.


L’ONG Human Rights Watch rapporte que certaines personnes handicapées doivent parfois être abandonnées par leur famille lors de leur fuite, et sont laissées sans nourriture ni eau pendant de très longues périodes durant lesquelles l’aide humanitaire n’arrive pas à pénétrer sur les territoires en question. Même une fois parvenues à atteindre des centres d’accueil humanitaires, ces personnes sont souvent dans l’incapacité d’accéder aux services fournis sur des sites non-adaptés à leurs divers handicaps. Au Soudan du Sud, par exemple, les personnes à mobilité réduite ne pouvaient parfois pas atteindre les centres de distribution, notamment de denrées alimentaires, placés trop loin des camps pour personnes déplacées. Human Rights Watch estime que la communauté internationale et les acteurs humanitaires ne sont pas encore assez sensibilisés à la question, et souhaite voir le Conseil de sécurité des Nations Unies « donner pour instruction aux missions de maintien de la paix et aux organes compétents de l'ONU d'observer et de signaler les abus commis contre les personnes handicapées ». L’ONG conclut que sans réel suivi de la situation des personnes handicapées dans les conflits armés, il sera difficile de mesurer et de contrôler l’impact subi par cette population.


Une nouvelle impulsion dans l’assistance humanitaire aux personnes handicapées


C’est dans cette optique que Nujeen Mustafa, jeune Syrienne de 20 ans atteinte de paralysie cérébrale, a souhaité s’exprimer lors d’une séance du Conseil de sécurité. En avril 2019, elle a raconté comment, cinq ans plus tôt, elle avait dû fuir Alep ravagée par les bombes, en fauteuil roulant. Elle souhaitait « rendre visibles les invisibles », luttant pour l’inclusion des personnes handicapées dans l’action et le droit humanitaires. Quelques mois plus tard, en juin 2019, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité sa première résolution sur la question. Il s’est déclaré inquiet du sort des personnes handicapées dans les conflits armés, et a exhorté les États à agir contre l’impunité des crimes commis à leur égard, ainsi qu’à prendre des mesures pour les protéger. Le Conseil de sécurité a également souhaité insister sur l’importance de l’inclusivité de cette aide offerte aux personnes handicapées, ceux-ci étant les plus à même de connaître la réponse adaptée à leurs besoins spécifiques.


Cette résolution fait ici écho à la Charte pour l’inclusion des personnes handicapées dans l’action humanitaire. Ce projet a été lancé par plusieurs organisations, telles que Handicap International, lors du Sommet humanitaire mondial d’Istanbul de 2016. Depuis, au moins 150 agences des Nations Unies, ONG, associations spécialisées et États – incluant la France – ont formellement apporté leur soutien à la Charte. Ce texte repose notamment sur la volonté d’offrir une égalité d’accès aux services humanitaires pour tous, et de permettre la participation des personnes handicapées « à la prise de décision en situation de crise ». Ainsi, cette Charte a pour but de combattre le stéréotype selon lequel les personnes handicapées ne sont pas en mesure de participer à l’effort humanitaire.


Bien que n’étant pas la problématique humanitaire la plus discutée, la question de la protection des personnes handicapées impactées par les conflits armés est très préoccupante. Il est essentiel de continuer à sensibiliser les différentes puissances belligérantes à travers le monde, ainsi que la communauté internationale et les acteurs humanitaires à ce sujet. Les personnes handicapées ne sont pas impuissantes, mais elles ont besoin de davantage d’initiatives en leur faveur. C’est notamment le cas des prothèses « made in Syria » du Centre de réadaptation physique du Croissant-Rouge syrien à Damas, où des personnes amputées se voient offrir une seconde chance.


Julia Bourget


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