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  • Margot Pfrimmer

LES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE AU CŒUR DU CONFLIT ARMÉNO-AZERBAÏDJANAIS (2)


« En utilisant ces armes imprécises et meurtrières à proximité de zones civiles, les forces arméniennes et azerbaïdjanaises ont enfreint les lois de la guerre et font preuve d’un profond mépris à l’égard de la vie humaine ».


Marie Struthers, directrice pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International, fait ici référence aux exactions commises conjointement par l’Arménie et l’Azerbaïdjan en violation du droit international humanitaire. Théâtre de massacres incessants, le conflit arméno-azerbaïdjanais est désormais reconnu comme étant le plus ancien, le plus récurrent et le plus meurtrier* des conflits post-soviétiques. La gouvernance du Haut-Karabagh, dont le statut en tant que province indépendante continue de diviser la communauté internationale, se retrouve à nouveau au cœur d’une éternelle revendication entre Erevan et Bakou.




En temps de conflit armé, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) est compétent en matière de rapatriement des prisonniers, d’évacuation des blessés ou encore de restitution des dépouilles dans le respect et la dignité. Le Comité conserve son rôle d’acteur neutre, chargé de conduire les activités humanitaires. Pourtant, de nombreuses violations du droit international humanitaire sont régulièrement répertoriées dans le cadre du conflit arméno-azerbaïdjanais. En dépit de l’escalade des violences dans la région, les militaires et la population civile des deux parties se heurtent encore à ce jour au désintérêt de la communauté internationale. Cette déconsidération générale a pour effet d’encourager la commission des exactions par l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur le territoire.


Une crise humanitaire s’est ainsi progressivement installée à la suite du blocus du Corridor de Latchine en décembre 2022, celui-ci étant orchestré par des activistes azerbaïdjanais. Par leur indifférence face au blocage des véhicules de ravitaillement par les activistes, les autorités azerbaïdjanaises violent l’obligation pour les États de faciliter le libre passage des secours et des biens indispensables à la survie de la population civile. En parallèle, la population arménienne fait l’objet d’un nettoyage ethnique*** et de déportations forcées. A ces égards, de nombreuses ONG avaient déjà condamné les agissements du gouvernement azerbaïdjanais pour son inaction, sa corruption et ses violations systématiques des droits de l'Homme (privation de liberté, atteintes au droit à la vie et à la santé, entre autres). Depuis le début du blocus, de nombreux États et organisations internationales condamnent les agissements de l’Azerbaïdjan et appellent à sa levée. Pourtant, son maintien semble démontrer l’échec de ces tentatives. L’Union européenne (UE) ne semble, quant à elle, pas prêter égards à ce désastre humanitaire, en dépit des moyens de pression conséquents dont elle dispose. En effet, son budget initial pour les opérations européennes de protection civile et d'aide humanitaire (ECHO) s’élève à 1 milliard d’euros par an.


« de nombreuses ONG avaient déjà condamné les agissements du gouvernement azerbaïdjanais pour son inaction, sa corruption et ses violations systématiques des droits de l'Homme »


La multiplication des dénonciations d’actes de barbarie perpétués par les soldats azéris, lesquels sont régulièrement accusés de commettre des viols, des actes de tortures et des meurtres contre des militaires et des civils arméniens, atteste de l’ampleur du désastre humanitaire. En 2020, lors de la guerre des 44 jours entre l'Azerbaïdjan et la petite République d'Artsakh, puis de nouveau en septembre 2022, l'armée azérie s'est livrée à des exactions contre les civils et militaires arméniens (exécutions, actes de torture, viols, …), qualifiées de « crime de guerre » par l’ONG Human Rights Watch. La mort et le déplacement de milliers d’Arméniens traduisent les nombreuses violations du droit humanitaire perpétrées dans le cadre de ce conflit, en particulier de la Convention de Genève (IV) de 1949 relative à la protection des civils en temps de conflit armé. En parallèle, l’Azerbaïdjan a massivement fait usage d'armes prohibées par le droit international humanitaire, telles que des bombes à sous-munition.


La Convention de Genève (III) relative au traitement des prisonniers de guerre, dont l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont parties, exige la libération des prisonniers de guerre et des personnes civiles détenues dès la fin des hostilités armées, ainsi qu’un traitement humain des détenus durant leur captivité. En dépit de ses engagements internationaux et en violation de l’article 8 de la déclaration de cessez-le-feu signée en 2020, l’Azerbaïdjan continuait pourtant à détenir plus de 200 prisonniers de guerres arméniens en 2021.


De son côté, l’Arménie s’est également rendue coupable de violations des règles de droit international humanitaire, comme en témoigne l’occupation d’une grande partie du territoire azerbaïdjanais, suivie de tueries de masse et de nettoyages ethniques lors des massacres de Khodjaly [ou Ivanian, une ville de la région d'Askeran du Haut-Karabagh]. Ces agissements traduisent une transgression manifeste de l’interdiction du recours à la force aux fins d’acquisition de nouveaux territoires, du respect de l’intégrité territoriale des États, ou encore de l’obligation de respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales en territoire occupé, soulignée par la Cour internationale de justice. En vertu des conventions internationales, la responsabilité internationale de l’Arménie peut être engagée au titre du génocide commis à l’encontre d’une partie de la population azérie, intentionnellement massacrée du fait de son appartenance ethnique.


« l’Arménie s’est également rendue coupable de violations des règles de droit international humanitaire, comme en témoigne l’occupation d’une grande partie du territoire azerbaïdjanais, suivie de tueries de masse et de nettoyages ethniques lors des massacres de Khodjaly ».


Plus généralement, l’usage répété, disproportionné et sans discernement d’armes d’une imprécision notoire par les forces arméniennes et azerbaïdjanaises – armes à sous-munitions, armes explosives à large rayon d’impact dans des zones civiles à forte densité de population –, amène à des souffrances inutiles et méconnaît fortement le principe de distinction entre les civils et les combattants. Ces attaques ont entraîné la mort de très nombreux civils et la destruction d’habitations et infrastructures civiles lors du récent conflit. Pourtant, les forces des deux camps continuent de nier ces exactions malgré les nombreuses preuves attestant de leur culpabilité.



Un homme pleure sur la tombe d'un soldat tué lors d'une bataille dans le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Reuters/ Said Tsarnaïev

D’autres dispositions spécifiques du droit international humanitaire sont régulièrement invoquées, notamment au sujet du rapatriement des dépouilles de soldats morts au combat. À ce titre, les parties au conflit doivent s’efforcer de faciliter la restitution des corps des combattants tués, à la demande des familles. Ces opérations revêtent une importance capitale pour ces dernières : si la dépouille de l'être cher ne leur est pas restituée, la douleur de l'incertitude s'ajoute à celle de la perte. La souffrance du deuil s’accompagne d’une confrontation à la brutalité des combats dépeinte à travers les mutilations dégradantes retrouvées sur les corps des soldats arméniens.


Le nombre toujours plus conséquent de morts et de soldats portés disparus dont les corps gisent encore en territoire azerbaïdjanais illustre ainsi l’ignorance de la communauté internationale et des autorités locales face à la détresse des populations endeuillées. Les équipes de recherche arméniennes sont débordées tandis que la récupération des corps est soumise à de nombreuses contraintes. Cette affligeante réalité emporte avec elle de nombreux questionnements, notamment au sujet du devenir du conflit et de ses nombreuses victimes. La communauté internationale réagira-t-elle à l’appel de ces « populations indignes d’attention », à ces râles d’agonie du Caucase qu’elle n’entend plus ?


Margot Pfrimmer


Image © - Sphaera Magazine / Chira Tudoran




* Le nombre exact de morts est inconnu, aucun décompte exact des corps n'ayant été correctement effectué par les belligérants ou par une organisation internationale. Le nombre de pertes humaines est le plus souvent estimé aux alentours de 25 000 et 30 000.

** Article 23 de la Convention de Genève IV, article 70 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève et article 18.2 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève.

*** Faute d’avoir été reconnu comme un crime autonome en droit international, il n'existe pas de définition précise de la notion de nettoyage ethnique ni des actes qui pourraient être qualifiés comme tel. Toutefois, la Commission d'experts des Nations unies chargée d'examiner les violations du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie a, dans son rapport S/1994/674, décrit le nettoyage ethnique comme « une politique délibérée conçue par un groupe ethnique ou religieux visant à faire disparaître, par le recours à la violence et à la terreur, des populations civiles appartenant à une communauté ethnique ou religieuse distincte de certaines zones géographiques ».

****L’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide précise que précise que « le génocide s’entend de l’un quelconque des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

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