Un voyage humanitaire est certainement le “voyage d’une vie” qui reste ancré dans la mémoire. C’est se sentir utile en apportant une aide précieuse aux populations dans le besoin.
Le 12 décembre 2024, les bénévoles de REESAH se sont rassemblés dans un café afin de discuter des voyages humanitaires. Certains d’entre eux sont partis en Inde ou encore au Togo, tandis que d’autres souhaitaient en apprendre plus sur cette expérience. Il est alors question de relater les échanges qui ont eu lieu et d’approfondir davantage certains points essentiels.
Humanitaire ou développement ?
Avant toute chose, il est primordial d’opérer une distinction entre deux branches de l’aide internationale : l’humanitaire et le développement.
La première branche renvoie à l’ensemble des actions menées dans un cadre d’urgence tel que celui des catastrophes naturelles ou encore des conflits armés. Dans ce type de situations, les professionnels humanitaires vont par exemple intervenir afin de distribuer des produits de premières nécessités ou encore afin de soigner les blessés.
La seconde branche vise au développement. En d’autres termes, il s’agit de l’ensemble des actions menées afin de trouver des solutions à des problèmes persistants et d’aider les acteurs locaux à mener à bien des projets qui participeront sur le long terme au développement social mais aussi économique des territoires concernés.
Les deux ne sont donc pas à confondre car il n’existe pas à proprement parler de “voyage humanitaire”. La plupart des bénévoles effectuent plutôt des voyages dits “d’échange et de solidarité” puisqu’en cas d’urgence, ceux-ci seraient rapatriés pour ne pas compromettre leur sécurité.

Photo prise lors du voyage en Inde de notre bénévole
Un voyage en Inde : le cas des Dalits
Une de nos bénévoles s’est rendue il y a quelques années en Inde afin de rencontrer les Dalits, anciennement appelés Intouchables. Ces populations sont près de 260 millions à vivre sur la côte nord-est du pays. Victimes de ségrégation, elles sont considérées “hors caste” et “impures”. Les discriminations et humiliations physiques et verbales qu’elles subissent sont principalement fondées sur l’ascendance et tendent à rendre leur accès aux lieux publics ou encore à certaines fonctions presque impossible.
Si la Constitution indienne de 1950 a prohibé les discriminations sur les castes et a introduit une politique de discrimination positive, la réalité en témoigne autrement. Pour cause, les inégalités et les violations des droits de l’Homme perdurent malgré l’intervention de certaines institutions. Par le biais d’une résolution, le Parlement Européen avait par exemple dénoncé la protection insuffisante des Dalits et avait également demandé “au gouvernement indien de ratifier la Convention des Nations unies contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants” de 1984.
Notre bénévole déclare avoir pu installer un système de micro-crédits pour les femmes. Ce voyage a aussi permis de distribuer du matériel leur étant nécessaire ou encore d’aider à mener des projets de construction sur place. Ce fut des moments d’échanges avec les populations à propos de leur quotidien mais également un moyen de leur apporter un soutien.
Un voyage au Togo : le cas de la pauvreté extrême
D’après l’ONU, le Togo est l’un des pays les moins avancés du globe. Depuis plusieurs années, les rapports annuels sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement, révèlent un IDH togolais très faible malgré sa progression. Le taux de pauvreté du pays prévoit en effet de diminuer en 2026 pour atteindre 23,5% contre 58,8% dans les zones rurales et 26,5% dans les zones urbaines aujourd’hui. Par ailleurs, des changements sont attendus notamment depuis le passage à la Vème République togolaise avec la promulgation d’une nouvelle constitution depuis mai 2024. Mais pour l’instant, la société reste marquée par de fortes inégalités.
Depuis plusieurs années, le Togo tente de faire face à la crise des pays du Sahel (Burkina Faso, Cameroun, Gambie, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, Sénégal et Tchad). La violence et l’insécurité dont les événements ont fait preuve, ont poussé les populations à se déplacer par milliers vers le Sud et à trouver des moyens de survivre aux côtés du développement des catastrophes naturelles et de certaines épidémies.
Une autre bénévole s’y est rendue afin d’essentiellement partager des moments avec les enfants en organisant des activités sportives et pédagogiques. De même, des projets de construction ont été menés et une aide matérielle et alimentaire a été apportée.
Un sentiment partagé ressortant
Souvent, les bénévoles se rendent compte qu’ils n’ont pas pu apporter autant qu’ils le souhaitaient lors de leur voyage. Ils déclarent même que les expériences qu’ils ont vécues ont rapporté davantage à leur propre personne qu’aux populations rencontrées. Un sentiment de frustration mais aussi de naïveté se dégage après avoir constaté qu’ils étaient finalement plus impuissants qu’ils ne le pensaient. Une de nos bénévoles énonce avoir voulu être préalablement plus renseignée sur d’autres manières d’aider.
Si chacun vit le voyage à sa manière, beaucoup expliquent avoir été “désenchantés” en faisant face à la réalité une fois sur place. Beaucoup encore disent revenir “changés” en ayant une toute autre vision des choses qui les entourent et en se rendant compte des privilèges qu’ils possèdent. Souvent, un temps de “réadaptation” est nécessaire lors du retour. Mais à quoi ces ressentis sont-ils dû et comment les éviter tout en aidant efficacement ?
Le principal écueil de ce type d’intervention est le croisement des deux branches de l’aide internationale : l’humanitaire et le développement. Les voyages ne sont que trop peu axés sur la branche du développement, pourtant tout aussi primordiale. Parfois, le travail des professionnels de l’humanitaire est donc entravé car beaucoup considèrent que l’humanitaire rime exclusivement avec situations d’urgence.
Le recul nécessaire lié au complexe du "Sauveur Blanc" ou "White Saviorism"
L’envie première des bénévoles est d’aider les civils au cœur de crises humanitaires. L’idée de se tenir au plus près de ces personnes en allant à leur rencontre est alors un réflexe nourrit dans la grande majorité des cas par de bonnes intentions. Mais n’est-ce pas se précipiter et idéaliser un certain scénario où ceux qui en ont la possibilité viennent “sauver” autrui ?
Le complexe du “sauveur blanc” ou “white saviorism” en anglais renvoie à l’idée selon laquelle les personnes blanches occidentales ressentent la responsabilité de sauver et de protéger - en raison de leur privilèges - les minorités aussi appelées les BICOP (Black, Indigenous and People of Color). D’après l’historien Joël Glasman, ce terme découle indubitablement du colonialisme européen. Si les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la diffusion d’information, ils donnent aussi certainement une image erronée de la réalité. Nombreuses personnes décident alors de participer à des voyages sans être correctement renseigné sur le sujet et les partagent sur les réseaux souvent dans le but de se sentir satisfait à propos d’eux-mêmes en ayant effectué de bonnes actions.
Les dérives associés au "volontourisme" : l'exemple des orphelinats
Depuis les années 2000 en France, le volontariat tend à subir un phénomène de “marchandisation”. Les agences de voyage s’en servent afin d’attirer le plus de volontaires possible malgré le fait qu’ils ne possèdent pas les compétences et qualifications requises pour effectuer de l’humanitaire. C’est alors qu’est né le mot “volontourisme” néologisme de “volontariat” et “tourisme” et dont les effets ne sont pas à négliger.
Les enfants en sont notamment les premières victimes puisque les changements réguliers de personnel peuvent engendrer des troubles de l’attachement ou encore une peur de l’abandon. En outre, les enseignements donnés par des bénévoles ne possédant pas les qualifications requises à cette fin ne permettent pas un développement intellectuel idéal et sont réalisés au détriment de la culture locale. Le volontourisme implique également la demande croissante de visite d’orphelinats. Afin d’y répondre, les enfants ne bénéficiant pas de moyens suffisants pour recevoir une bonne éducation se retrouvent séparés de leur famille. Ces familles reçoivent alors une contrepartie pécuniaire, et leurs enfants sont finalement placés dans des orphelinats. Aujourd’hui, 80% des enfants placés dans le monde ne sont en réalité pas de véritables orphelins. En outre, à titre d’illustration le nombre d’orphelinats a augmenté de 60% au Cambodge et ce en 10 ans.
« Dans ce cas-ci, on ne répond à aucun besoin. C'est une dérive marchande, une commercialisation de l'aide humanitaire. L'entreprise fait de gros profits et ne sert pas les communautés. Sur le plan éthique, c'est irrecevable » docteur Nicolas Bergeron, président de Médecins du Monde.
La combinaison impérative des instruments juridiques internationaux et des actions individuelles
Depuis un peu plus d’un demi-siècle, l’aide humanitaire tente d'être encadrée. Il existe pour cause des instruments juridiques mis en œuvre au niveau international. L’Assemblée Générale des Nations Unies a par exemple fixé les principes directeurs de l’aide humanitaire par les résolutions 46/182 et 58/114. La première institue par ailleurs l’OCHA (Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires) dont le but est de coordonner les interventions et d’assurer leur efficacité. Les institutions de l’Union européenne ont quant à elles adopté en 2007 le Consensus européen sur l’aide humanitaire. La communauté européenne joue en effet un rôle significatif dans le développement de l’aide humanitaire puisqu’elle a dédié 11,6 milliards d’euros à cette fin pour la période 2021-2027.
Il est tout aussi possible d’apporter une contribution au niveau individuel sans pour autant partir en voyage. Des dons auprès d’associations fiables peuvent être effectués ou du contenu servant à sensibiliser peut être partagé sur les réseaux sociaux. C’est également le 19 août qu’a lieu la Journée mondiale de l’humanitaire destinée à faire pression sur les autorités dont les actions restent trop insuffisantes face aux besoins constatés. À l’issue du café-débat organisé par l’association, les bénévoles ont pu réaliser l’importance de prendre conscience des enjeux liés à l’instrumentalisation des “voyages humanitaires”. Pour aider les populations victimes des crises, il est donc estimé nécessaire de s’interroger au préalable sur notre façon d’agir et de trouver des alternatives dans l’espoir de fournir une aide efficace au regard de nos propres capacités.
Phébé Locatelli
Image © - Léa Tilmant / "Un Sourire pour l'Inde"
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