Depuis la dernière décennie, de nombreuses manifestations se sont multipliées en Pologne pour protester contre les tentatives d'adoption de lois visant à restreindre ou interdire le droit à l'avortement, mobilisant des citoyen.ne.s et des organisations en faveur des droits des femmes. Cependant, la Cour Constitutionnelle a finalement rendu une décision en octobre 2020 (mais entrée en vigueur en janvier 2021) consistant à presque complètement interdire cette pratique dans le pays. À la suite de cet arrêt, des milliers de polonais.es sont descendu.e.s dans les rues, déclenchant un mouvement de protestation qui a mis en lumière les questions sur les droits des femmes dans une société profondément conservatrice.
Manifestations dans les rues de Pologne après le décès d’une femme enceinte à l’hôpital. (traduction : pas une de plus)
Un contexte sociopolitique tendu
La Pologne, un pays majoritairement catholique depuis des décennies, est gouvernée par un parti politique aux valeurs conservatrices. Elle était pourtant l’un des premiers pays en Europe à avoir libéralisé l’avortement au XXème siècle. Ces dernières années, les autorités ont durci les lois sur l'avortement, ne permettant cette procédure seulement dans des cas de viol, d'inceste ou lorsque la vie de la mère est en danger. Le 27 octobre 2021, une décision de la Cour constitutionnelle de Pologne a quasiment interdit l'accès total à l'avortement, en écartant les motifs « de malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable menaçant la vie du fœtus » permettant d’y recourir. Cependant, même ces exceptions sont souvent ignorées dans la pratique. Plus encore, la loi actuelle prévoit jusqu’à trois ans de prison pour quiconque aide ou incite une femme enceinte à interrompre sa grossesse en dehors des motifs définis par la loi. Cette situation a conduit à des cas tragiques, où des femmes ont été contraintes de poursuivre des grossesses non viables.
Des manifestations sans précédent
Les semaines suivant la décision de la Cour constitutionnelle, une nouvelle a profondément choqué les citoyen.ne.s de la Pologne le 6 novembre 2021. Une femme enceinte de 22 semaines avait succombé à l’hôpital d’un choc sceptique, les médecins ayant attendu la mort du fœtus pour opérer une césarienne.
Les manifestations qui ont suivi ce tragique événement ont rassemblé des millions de personnes à travers le pays. Des slogans comme "Mon corps, mon choix" et "Je suis une femme, pas une incubatrice" ont été scandés dans les rues de Varsovie, Cracovie et d'autres villes à travers le pays. Cette vague d’indignation ne concerne pas seulement les femmes, mais aussi des hommes, des jeunes et des personnes de toutes générations, montrant un large soutien envers la cause.
Une lutte pour les droits fondamentaux
Les manifestations en Pologne s'inscrivent dans un cadre beaucoup plus large que celui de la lutte pour le droit à l’avortement. Bien que ce dernier soit le droit le plus revendiqué pendant ces manifestations, cela permet aussi de mettre en lumière les inégalités concernant les droits reproductifs et la santé des femmes. Les militant.e.s et organisations féministes polonaises travaillent ardemment pour sensibiliser toute la population, à la question de l'avortement, et aussi aborder celles concernant l'accès à l’éducation, l'égalité salariale ou encore la violence domestique. L’objectif principal de ces organisations est d’aider les femmes polonaises à se procurer des pilules abortives.
« Je manifeste parce que je ne veux pas vivre dans un pays où les femmes sont tuées parce qu'elles n'ont pas le droit d'avorter »
Le bout du tunnel pour le droit des femmes ?
Le mouvement pour le droit à l'avortement en Pologne a également attiré l'attention de la communauté internationale. Des organisations comme Human Rights Watch et Amnesty International ont montré leur soutien face à la situation dans le pays, soulignant que "les droits reproductifs sont des droits humains". De nombreuses organisations internationales de défense des droits humains ont ainsi exprimé leur solidarité avec les manifestant.e.s polonais.es. Les député.e.s du Parlement européen ont par ailleurs critiqué cette nouvelle loi polonaise courant 2021, déplorant le fait que la vie des femmes soit mise à ce point en danger, notamment en ayant l’obligation de se rendre à l’étranger ou en vivant une grossesse non désirée ou encore à risque. À ce propos, le 14 décembre 2023, la Pologne a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme à verser 15 000 euros à une femme à qui l’avortement de son fœtus atteint de trisomie 21 a été refusé, considérant que le pays avait violé son droit au respect de la vie privée et familiale, conformément à l’article 8 de Convention européenne des droits de l’Homme.
Au niveau national, le gouvernement nouvellement élu en 2023 mené par Donald Tusk semble vouloir renverser la balance. En effet, ce dernier a convoqué une commission parlementaire afin de voter un texte permettant aux femmes d’avorter jusqu’à la douzième semaine de grossesse. Il a également déclaré souhaiter rendre la pilule abortive libre d’accès.
Ce qu’il faut retenir
Bien qu’aujourd’hui encore, l’avortement n’est autorisé qu’en cas de danger pour la vie de la femme enceinte, ou lorsque la grossesse est liée à un viol ou un crime d’inceste, il existe un faible espoir amené par le nouveau gouvernement dirigé par Donald Tusk qui promet de réintroduire le droit à l’avortement.
Léna Riso de Santos
Image © - BEATA ZAWRZEL / AFP / NurPhotoNu
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