Les petits Etats insulaires du Pacifique sont confrontés à des défis uniques en matière de Droit international en raison de la montée des eaux et de ses conséquences. Ils cherchent à obtenir une reconnaissance de leur vulnérabilité et à mobiliser un soutien international pour faire face à ces défis tout en continuant à plaider en faveur d’actions mondiales pour atténuer le changement climatique.
Eita, Kiribati, 30 septembre 2015, photo de Jonas Gratzer. Une grande partie du village d'Eita a été noyé sous les inondations de la mer. La population de Kiribati est obligée de déménager en raison de l'élévation du niveau de la mer.
Malgré la détermination de l’Homme à atténuer les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ces dernières sont toujours d’une importance majeure. Bien que les océans en régulent pour l’instant les effets en absorbant la chaleur dégagée par ces gaz, lorsque l’eau se réchauffe, son volume augmente. Or, au coude-à-coude avec la fonte des glaciers, la dilation thermique participe au dérèglement climatique. C’est pourquoi, on assiste ces dernières années à l’élévation du niveau de la mer de manière particulièrement rapide et impactant de manière dévastatrice les habitats côtiers. À ce stade, il semble important de rappeler que si les Etats insulaires du Pacifiques sont les plus vulnérables face à l’élévation du niveau de la mer dû aux émissions de gaz à effet de serre, ils font toutefois partie des derniers Etats émetteurs.
Un consensus mondial aux enjeux multisectoriels
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC) a souligné dans son rapport du 9 août 2021 que le taux annuel d'augmentation du niveau de la mer au niveau mondial a triplé entre 1901 et 2018, s'établissant actuellement à 3,7 mm par an. Cependant, " la situation est pire dans la région des îles du Pacifique " a déclaré Morgan Wairiu, expert en changement climatique, coordinateur et auteur principal du chapitre sur les petites îles du rapport du GIEC, depuis les îles Salomon. "Dans le Pacifique Sud, la hausse moyenne régionale du niveau de la mer a été de 5 à 11 mm par an entre 1900 et 2018".
« Les nations insulaires du Pacifique sont en première ligne des effets du changement climatique. Mais comment en établir les responsabilités ? Quel statut juridique appliquer aux premiers réfugiés climatiques du XXIe siècle ? Qu'en est-il de la disparition d'un Etat pour cause naturelle ? »
Au-delà de ces faits scientifiques reconnu par un consensus mondial, comme a pu le montrer les exposés des Etats en septembre dernier dans le cadre de la procédure consultative pendante devant le Tribunal international du droit de la mer à Hambourg, la montée des eaux a de nombreuses conséquences dévastatrices s’immisçant dans le quotidien de la population. On parle notamment de conséquences environnementales dues à la salinisation des eaux rendant l’accès à l’eau potable et l’agriculture de plus en plus complexe, ou encore de conséquences touchant aux Droits de l’Homme via la question des générations futures et du maintien du patrimoine culturel de ces Etats. Toutefois, celle-ci vient également questionner certains concepts fondamentaux de Droit International Public.
En effet, « Les nations insulaires du Pacifique sont en première ligne des effets du changement climatique. Mais comment en établir les responsabilités ? Quel statut juridique appliquer aux premiers réfugiés climatiques du XXIe siècle ? Qu’en est-il de la disparition d’un Etat pour cause naturelle ? ». Ce sont autant de questions que l’Université de Nouvelle-Calédonie a tenté de porter à la connaissance du plus grand nombre et de manière éducative dans son reportage Nation of Water paru en 2022.
« La notion contemporaine d'Etat, définit par la Convention de Montevideo et conditionnant sa caractérisation à l'existence d'un territoire, doit-elle être repensée ? »
Une réponse entre action et adaptation
Face à ce vide juridique couplé à la réalité accablante du changement climatique, ces petits Etats insulaires cherchent de nouvelles pistes toutes aussi créatives les unes que les autres pour l’avenir. En effet, certains ont fait le choix de l’adaptation à ces nouvelles données. C’est par exemple le cas des îles Kiribati qui a mené plusieurs opérations de délocalisation de populations ces dernières années, afin de s’assurer de leur protection, notamment via l'achat de terres refuge aux Fidji. On compte de même Tuvalu qui a conclu ce vendredi 10 novembre l'Union Falepili (terme tuvaluan désignant les voisins qui vivent dans des maisons proches) avec l'Australie afin d'offrir, d'une part, un droit d'asile climatique aux ressortissants des Tuvalu, et d'autre part, un investissement australien pour consolider les côtes des Tuvalu abîmées par l'érosion. Toutefois, d’autres Etats ont également pris la voix de la lutte et cherchent des solutions. C’est notamment le cas des Tuvalu, qui a déjà vu deux de ses neuf atolls largement submergés, et qui a décidé d'inscrire la permanence de l’Etat dans sa Constitution en octobre dernier. L'idée ici est d’assurer son futur dans le cas où l’île viendrait à être immergée définitivement dans les prochaines décennies du fait de la lente mise en œuvre d’une coopération internationale. Mais là encore, des interrogations se posent. La notion contemporaine d’Etat, définit par la Convention de Montevideo de 1933 qui conditionne sa caractérisation à l’existence d’un territoire, doit-elle être repensée ?
De manière générale, des coups de com’ aux mécanismes judiciaires, les Etats insulaires sont actifs. En effet, pour mieux se faire entendre, ces Etats redoublent d’imagination et adoptent différentes stratégies. Lors de la COP26 en 2021, c’est le ministre des affaires étrangères des Tuvalu, Simon Kofe, qui avait fait l’affiche en prononçant son discours les pieds dans l’eau. Si l’image est originale, le message est fort. En parallèle, ces interrogations ont été portées à la connaissance de juridictions internationales via les demandes d’avis consultatif pendantes devant la Cour internationale de justice et le Tribunal international de la mer. Le but ici est, d’une part, de parvenir à obtenir de manière claire et précise les obligations incombant à la communauté internationale afin d’enrayer la catastrophe naturelle qui se profile, et d’autre part, de déterminer les conséquences juridiques pour les Etats du fait des dommages causés au système climatique.
Tout reste à écrire, mais cette crise sans précédent semble pousser le Droit international, tous secteurs confondus, dans ses retranchements, et ce, de manière urgente.
Natacha Manen
Image © - Jonas Gratzer
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