« Je suis désolé pour ce qui vous a été infligé par des employés de l’OMS, qui auraient dû vous servir et vous protéger. Cela n’aurait jamais dû vous arriver. C’est inexcusable ». Ce sont les mots du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesusa, prononcés le 28 septembre 2021 à la suite de la divulgation d’une cinquantaine de viol commis par les agents de l’OMS sur des femmes de la République démocratique du Congo (RDC) lors de leur intervention dans la crise Ebola.
Cette actualité du droit humanitaire a choqué l’opinion publique et a forcé à s’interroger sur la responsabilité des acteurs humanitaires dans de telles situations.
La responsabilité des acteurs du droit humanitaire s’établit tout au long d’un processus juridique complexe à démontrer. En effet, une fois une ou plusieurs violation(s) du droit humanitaire établie(s), il faut, entre autre, encore réussir à attribuer le comportement à un acteur du droit humanitaire précis pour pouvoir engager sa responsabilité, ce qui n’est pas chose aisée. Cette complexité se traduit également par le fait que la responsabilité des acteurs se trouve dans le comportement d’acteurs privés, qui ne sont pas des sujets du droit international. Dès lors, dans quelle mesure un acteur du droit humanitaire peut-il voir sa responsabilité engagée ?
En réponse, le droit international a développé la notion de « contrôle effectif ». C’est un critère qui a fait l'objet de controverses au sein de la jurisprudence même. Il a parfois été analysé strictement ou alors interprété largement, ce qui brouille les contours de la responsabilité des acteurs internationaux humanitaires telle que celle des Etats ou des organisations internationales.
La responsabilité des Etats au regard des obligations du droit humanitaire.
L'Ouganda a ainsi eu l’occasion de voir sa responsabilité engagée sur ce fondement par la Cour internationale de Justice (CIJ) dans une affaire de 1999. En effet, du 2 août 1998 au 30 juin 2003, l'État a occupé le territoire de la République démocratique du Congo et a soutenu activement, sur les plans militaire, logistique, économique et financier, des forces irrégulières qui y opéraient. Sur la base de ces faits, la Cour a condamné, en 2005, l’Ouganda pour crime de guerre et violations du droit international humanitaire.
Les Etats sont les principaux acteurs du droit international humanitaire, et par conséquent les premiers débiteurs des obligations qui en découlent. Leur responsabilité naît à travers la ratification des quatre Conventions de Genève de 1949 et des deux protocoles additionnels de 1977 formant le noyau dur de ce droit. C’est ce que la CIJ a eu l’occasion de rappeler à l’égard des Etats-Unis : les États ont l’obligation de s’abstenir d’encourager des personnes ou des groupes prenant part à des conflits à agir en violation du droit international humanitaire. En cas d’intervention sur le territoire d’un autre Etat en proie à un conflit, comme dans le cadre de missions d’observation des Nations Unies, leur mission se résume à protéger les civils en danger. Cet objectif a été réaffirmé par les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies 1464 (2003) et 1528 (2004) autorisant la Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (ECOMOG) et les forces françaises à assurer « la protection des civils immédiatement menacés de violences physiques » en Guinée-Bissau.
Cependant, plusieurs scandales internationaux ont montré que les obligations découlant du droit humanitaire n’étaient pas toujours respectées par les Etats. On observe par ailleurs un certain laxisme général à l’égard d’Etats européens mêlés à des scandales de droit humanitaire. À titre d’illustration, la France a vendu des armes à l’Arabie Saoudite à l’occasion du conflit au Yémen, et ces transactions ont suscité l’émoi de la société internationale. Ainsi, en 2019, le Conseil des Nations Unies a émis des doutes quant à la légalité de ces ventes. De même, des organisations non-gouvernementales (ONG) comme Amnesty International ont dénoncé ces ventes en raison de violations du droit international humanitaire qu’elles auraient impliqué au Yémen. Pour autant, la responsabilité internationale française n’a toujours pas été engagée à ce jour. Autre exemple, l’enquête préliminaire ouverte en 2014 par la Cour pénale internationale à l’encontre des forces armées britanniques en réponse à des allégations de mauvais traitements de détenus irakiens placés sous leur garde a été classée sans suite. Il en est de même pour l’affaire révélée le 23 octobre 2021 par le Sunday Times relative au meurtre d’une femme Kényane, Agnès Wanjiru, au Kenya par un militaire britannique avec la complicité de ses collègues déployé sur ce territoire. Ce crime aurait été couvert par l’armée britannique, et la responsabilité du Royaume-Uni n’a pas encore été engagée, en raison de considérations plus politiques que juridiques.
Ce constat d’impunité se retrouve également à l’égard d’un autre acteur du droit humanitaire, les organisations internationales.
La responsabilité des organisations internationales au regard des obligations du droit humanitaire.
Les traités relatifs au droit humanitaire ne sont en principe accessibles qu’aux États. Il est donc difficile d’engager la responsabilité des organisations internationales car les règles qui en découlent ne devraient pas leur être opposables.
Toutefois, le Secrétaire des Nations Unies a émis une circulaire le 6 août 1999 sur le respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies lorsqu’elles participent activement au combat. Si cette obligation n'avait initialement pas de force juridique, la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) l'a concrétisée dans son arrêt Behrami. Dans cette affaire, un groupe d’enfants avait découvert des bombes de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies pour le Kosovo (MINUK) et de la Force d’intervention de l’ONU au Kosovo (KFOR) non désamorcées, dont l’une avait explosé, tuant un garçon et en blessant gravement un autre. La Cour a considéré qu’il y avait lieu d’opposer les règles du droit international humanitaire aux organisations internationales, dans le cadre de leurs obligations générales du droit international. Cependant, une fois cet état de fait posé, la CEDH s’est déclarée incompétente pour statuer sur la responsabilité en cause des Nations Unies. Une décision réitérée par la suite en droit international notamment par la Cour suprême néerlandaise en 2012 : l’ONU « jouit d’une immunité de juridiction absolue en ce sens qu’elle ne peut être citée à comparaître devant une juridiction interne d’un pays partie à la Convention ».
Ces affaires révèlent ainsi une lacune importante du droit international : il n’existe actuellement aucune instance compétente pour statuer sur la responsabilité des organisations internationales, a fortiori de l'ONU. Cette dernière se conforterait dans cette position si l'on en croit les accusations portées à son encontre de minimiser les abus sexuels de ses Casques bleus.
Toutefois, on peut noter une évolution remarquable : certaines organisations internationales, telles que l’OTAN lors de ses opérations au Kosovo, ont fait le choix volontaire de se soumettre aux mécanismes internationaux de suivi existants. Ainsi, sans devenir officiellement partie aux traités de droits de l’Homme ou du droit humanitaire, elles consentent implicitement aux obligations qui en découlent.
Il n’en reste que la recherche de la responsabilité des acteurs humanitaires ne semble pas être le meilleur moyen d’aboutir à une réparation effective en droit international. En effet, pour ce qui est des scandales des abus sexuels commis par des agents de l’OMS lors de la crise d’Ebola, la question d’engager ou non la responsabilité de l’OMS revêt une dimension davantage politique que juridique.
Les solutions à ces problèmes seraient alors peut-être de réussir à attribuer le comportement de ces agents aux États membres de l’OMS, sur la base du contrôle effectif précédemment mentionné, ou encore de se retourner directement contre les personnes physiques responsables de ces crimes, les seules dont la responsabilité peut être engagée en droit international pénal.
Abigaëlle Guazzelli
Image © - Thomas Gruel / SOLIDARITÉS INTERNATIONAL, [disponible ici].
Yorumlar