En République démocratique du Congo (RDC), trois agences des Nations Unies appellent à l’aide: l’UNICEF, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) alertent conjointement sur la situation alimentaire et humanitaire dans la région du Kasaï en stade de pré-famine. Ce stade peut conduire très rapidement à celui de la famine et menace actuellement plusieurs milliers de personnes dont de nombreux enfants. Bien qu’elle n’ait pas été affectée par les conflits qui rongent le pays depuis les années 1960, la région du Kasaï connaît depuis deux ans des violences sans précédents suite à l’assassinat par l’armée d’un chef coutumier opposé au président Kabila. Jean-Pierre Mpandi, médecin « traditionnel » désigné à la tête du groupe Kamwina Nsapu, regroupait des hommes afin de s’opposer à l’autoritarisme et à la corruption du régime en place. Accusé d’insurrection, il a été assassiné par les forces armées congolaises (FARDC) le 12 août 2016, ce qui a entrainé une montée en puissance de la violence et a poussé ses partisans à prendre les armes. Constitué en milice, ces militants s’attaquent à tous les édifices qui représentent le pouvoir central, brûlent les champs et les maisons, recrutent des enfants pour combattre et assassinent les partisans du régime. Dans un premier temps localisées dans le Kasaï central, les attaques se sont très vite propagées dans les régions voisines. Une répression impitoyable de la part du gouvernement s’est abattue sur la population civile accusée de soutenir le mouvement, le Grand Kasaï étant perçu comme un foyer d’opposition au régime depuis le début de l’arrivée au pouvoir de Kabila. L’escalade du conflit a conduit a de fortes violations des droits de l’Homme : les populations prises en étau n’ont pas d’autre choix que de s’enfuir, lorsqu’elles ne sont pas chassées de chez elles ou tuées. Après avoir passé des mois cachées dans la brousse – où elles étaient sujettes à diverses maladies en raison des conditions d’hygiène et de vie extrêmement précaires - les populations regagnent aujourd’hui leur village dans un contexte encore instable où les infrastructures manquent, où la sécurité n’est pas encore assurée et où les moyens financiers sont insuffisants. À la guerre civile se substitue désormais la crise humanitaire. En effet, la région du Grand Kasaï comprend essentiellement des terres agricoles qui permettent aux habitants de se nourrir et de dégager des revenus. Les populations de la région ont toujours fonctionné en autosuffisance et 90% des populations rurales dépendent entièrement de l’agriculture. Mais suite aux affrontements, les stocks de nourritures ont été pillés, les terres ont été abandonnées, parfois brulées par l’armée ou la milice, ce qui empêche les agriculteurs de les cultiver à leur retour. Trois saisons consécutives ont ainsi été ratées, et la reprise de la production demande du temps et des moyens actuellement indisponibles ce qui rend la situation critique. D’après les équipes d’Action contre la Faim présentes sur place, les familles ne consomment qu’un repas par jour sans aucune valeur nutritive. De plus, les denrées alimentaires de base sont épuisées sur les marchés ou ne peuvent parvenir jusque dans la région en raison du climat sécuritaire instable. En conséquence, de nombreuses personnes souffrent de sous nutrition chronique à une échelle très importante. En octobre, l’OCHA (Bureau de coordination des affaires humanitaires) estimait que l’urgence nécessitait une réponse de niveau trois du système des Nations Unies (c’est-à-dire une réponse organisée en système et appelant une large mobilisation), soit le même niveau qu’en Irak, en Syrie et au Yémen. D’après le PAM, dans les cinq provinces du Grand Kasaï, trois millions de personnes seraient en situation d’insécurité alimentaire critique, dont, d’après l’UNICEF, au moins 400 000 enfants de moins de 5 ans qui souffriraient de malnutrition aiguë sévère et risqueraient de mourir en 2018 si aucune aide sanitaire ou nutritionnelle suffisante n’est apportée. Si le PAM est intervenu rapidement et coordonne des vols logistiques et humanitaires afin d’augmenter le nombre de personnes assistées, cette aide reste toutefois insuffisante face à la demande et ne parvient pas à combler le vide. Parallèlement, la réticence des donateurs à s’engager au Kasaï compromet l’effort pour répondre à la crise. Jean Philippe Chauzy, chef de mission de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) en RDC explique que les financements sont à leur plus bas niveau depuis des années alors que la situation ne cesse de s’empirer dans le pays. L’OIM a lancé un appel de fond de 75 millions de dollars pour remédier à la situation tandis que des mesures sur le long terme sont attendues de la part des Nations Unies et du gouvernement. Enfin, à la menace d’une famine généralisée, s’ajoute le manque d’infrastructure de santé qui ont elles aussi été détruites, pillées ou endommagées. Cette situation pourrait voir se répandre des maladies transmissibles faute de soins nécessaires reçus. L’une des plus grandes crises humanitaires actuelle atteint son point de rupture. Sans une aide financière rapide, directe et adéquate, la situation pourrait se transformer en une vraie catastrophe sur le long terme. L’ONU a promis de doubler les fonds alloués en 2018 par rapport aux années précédentes, ce qui fait de la RDC le troisième pays le plus aidé en nombre de personnes assistées après la Syrie et le Yémen.
Lise Bunouf
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