En ce mois de mars 2018, nous apprenons avec tristesse la mort de Stephen Hawking. L’astrophysicien s’est éteint mercredi 14 à son domicile, à l’âge de 76 ans. Il me semble néanmoins nécessaire de nous arrêter, le temps de ces quelques lignes, sur une autre disparition survenue récemment, cette fois plus loin de l’effervescence médiatique. En ce mois de mars 2018, nous apprenons avec tristesse la mort de Karim Ibrahim. Ce trentenaire soudanais s’est éteint jeudi 8 sur un trottoir parisien, sur la bouche d’aération de 3m² qui lui aura tenu lieu de dernier domicile, à quelques mètres de « la bulle » de la Porte de la Chapelle. Si les causes de son décès ne sont pas encore connues, pour Clarisse Bouthier, membre du collectif Solidarité migrants Wilson, il n’y a pas de doute à avoir : Karim est mort « de désespoir ». La situation Porte de la Chapelle est en effet désespérante. Des centaines de migrants dorment toujours dans la rue, emmitouflées dans des sacs de couchage dans le meilleur des cas, et dans ce qu’ils peuvent trouver pour la plupart. Le Samu social parisien est débordé et chaque nuit, des centaines de personnes ne peuvent être hébergées malgré leur appel au numéro d’urgence (115). Pour pallier à cette situation, plus d'une trentaine d'évacuations ont été organisées dans Paris durant les dernières années, dont plusieurs Porte de la Chapelle. Près de 3 000 personnes avaient ainsi été redirigées vers des centres d’hébergements provisoires de la région parisienne en juillet 2017. Ces centres n’étaient que des gymnases ou autres équipements sportifs aménagés pour l’occasion, mais permettaient l’accès à un point d’eau, à des toilettes, des douches, etc. Beaucoup parmi les migrants déplacés ont cependant fini par revenir dans les rues parisiennes : c’est sur place que se trouvent leurs connaissances, leurs amis, leur réseau. En novembre 2016 a également été mis en place Porte de la Chapelle un centre d’accueil, surnommé « la bulle ». Destinée à héberger les migrants le temps de décider de la meilleure option à suivre pour eux en fonction de leur situation administrative, la bulle était et est aujourd’hui encore gérée par Emmaüs solidarités. À l’intérieur, un Centre d’examen de situation administrative (Cesa), créé pour l’occasion et géré par l'État, aide à l’orientation des migrants vers telle ou telle autre structure d’accueil de plus long terme. À son ouverture, Utopia 56 intervenait également au sein du camp avec une équipe d’environ 25 bénévoles. L’association a cependant rapidement dénoncé le fonctionnement du centre, et notamment du Cesa, dont elle juge les procédures kafkaïennes : les migrants ne bénéficient pas d’une information suffisante et finissent parfois par se voir opposer un avis d’expulsion car le délai de dépôt de la demande d’asile n’a pas été respecté (en France, tout étranger dispose de 120 jours après son entrée sur le territoire pour demander l’asile). À l’extérieur, tout est fait pour gêner la vie quotidienne des migrants qui ne peuvent rentrer dans le dispositif : la mairie va jusqu’à disposer d’énormes pierres aux abords du centre pour empêcher la constitution de nouveaux camps. Face à cette situation à l'intérieur et à l'extérieur de la bulle, Utopia 56 a fini par décider, en septembre 2017, de cesser de participer à la gestion du camp et d’intensifier son action auprès des migrants restés à la rue. Aujourd’hui, Utopia 56 poursuit cette action en distribuant de la nourriture, des vêtements, des sacs de couchages et couvertures, ainsi que d’autres biens qui lui ont été donnés. Des conseils administratifs sont également prodigués à ceux qui le désirent. Enfin, l’association tente chaque soir de loger un maximum de personnes, faisant passer en priorité les mineurs isolés et les familles. Elle s’appuie pour cela sur un réseau de citoyens souhaitant accueillir chez eux une ou plusieurs personnes pour la nuit. Tous les soirs, Utopia 56 note les appels et les propositions, consulte la liste des personnes ayant demandé un abri pour la nuit, puis ses membres accompagnent les migrants à l’adresse indiquée avant de revenir prendre d’autres personnes en charge. Plusieurs dizaines de personnes sont ainsi logées chaque nuit. D’autres associations ou organisations interviennent également dans les environs de la Porte afin d’améliorer autant que possible la situation des migrants à la rue. L’armée du Salut donne ainsi la possibilité à ces derniers de se doucher gratuitement. Le collectif Solidarité migrants Wilson intervient lui aussi Porte de la Chapelle via des distributions de nourriture et de vêtements. Plus loin sur le trottoir, Médecins du Monde (MdM) organise quotidiennement une permanence médicale. Déjà en juin 2017, cette dernière organisation avait appelé le gouvernement à prendre ses responsabilités face à la précarité de la situation Porte de la Chapelle et à ouvrir plus de dispositifs d’accueil, au sein et hors de la capitale. Malgré toute leur bonne volonté, les associations et organisations présentes sur place ne peuvent en effet pas jouer le rôle d'un État et remplacer la prise en charge qui lui incombe.
En l’absence de prise en charge, des centaines de migrants continuent de dormir dehors Porte de la Chapelle. Karim Ibrahim était l’un d’entre eux. Il est mort jeudi 8 mars sur un trottoir.
Léo Lefeuvre
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