En ce début d’année 2023, nombreux et nombreuses rêvent de nouvelles expériences. Or, tout au long de l’année, de nombreuses annonces « [d’]offres de stage et missions humanitaires » sont présentées sur les réseaux sociaux. Il est donc intéressant de comprendre ce que cache réellement ce type de publication.
L’humanitaire, définition
Selon le dictionnaire Larousse, l’action humanitaire est destinée aux populations les plus vulnérables dans l’objectif « d’améliorer la condition de l’homme ». Elle s’exerce donc au nom de la solidarité internationale par divers acteurs qui agissent aujourd’hui sur la base de ce principe. Aujourd’hui les associations et organisations non-gouvernementales (ONG) sont les plus nombreuses dans le domaine – environ 170 000 à travers le monde –. S’en suivent les collectivités territoriales, les États, les institutions internationales et les fondations.
Le plus souvent mis en œuvre par les ONG, les projets humanitaires interviennent dans différents secteurs : l’urgence, l’aide au développement, la protection de l’environnement, l’éducation, la défense des droits humains ou encore le plaidoyer. Il est donc nécessaire de distinguer un projet humanitaire cohérent, fruit d’un travail ayant pour objectif de répondre à des besoins concrets évalués en amont, du tourisme humanitaire communément appelé « volontourisme ».
Le développement d’un business de l’humanitaire
Dès la décolonisation, les occidentaux ont souhaité agir face à la misère, principalement introduite par leur faute, en participant financièrement et concrètement à l’aide au développement ou aux crises humanitaires urgentes. À partir des années 1960, un réel « business de l’humanitaire » se développe. Des associations vont proposer, d’une part, des missions de longue durée et d’autre part, des volontariats très courts présentés comme une possibilité de vivre une expérience humanitaire à part entière, tout en profitant d’un séjour touristique.
Ces projets sont présentés comme la possibilité de vivre une expérience humanitaire à part entière, particulièrement dans le domaine de l’éducation, de l’orphelinat ou de la construction, et cela en profitant également d’un séjour touristique. De surcroît, l’essor des réseaux sociaux dans les années 2000 a redonné de l’ampleur à ces types de voyages. L’image de soi ayant de plus en plus de valeur, se présenter comme sauveur lors de missions humanitaires permet d’être valorisé. Également, des personnalités publiques telles que Jérôme Jarre – youtubeur – ou Dylan Thiry – ancien participant de téléréalité – jouent de leurs valeurs humanitaristes pour développer leur communauté et leur communication. Jérôme Jarre a notamment développé une « Love army », c’est-à-dire un collectif de personnalités afin de lever des fonds pour différentes causes telles que celle des Rohingyas au Bangladesh. Or, bien que l’utilisation de leur influence permette d’obtenir des sommes conséquentes rapidement en véhiculant l’image de la mission humanitaire accessible à toutes et tous, cette méthode décrédibilise les organisations humanitaires et particulièrement les professionnels. Dylan Thiry consacre de son côté une partie de sa vie à diverses missions humanitaires qu’il met en valeur sur ses réseaux. Cependant, faisant actuellement l’objet de plaintes de plusieurs personnes pour « abus de confiance », il serait accusé de détourner les cagnottes destinées à financer des projets dans plusieurs pays d’Afrique et du Proche-Orient.
« Ces voyages peuvent paraître malsains par l'instrumentalisation des enfants (de l’orphelinat) sur les réseaux sociaux. Ainsi, j'ai pu constater qu’après une venue à l’orphelinat, les volontaires postent, pour la plupart, des photos avec les enfants sans que ceux-ci y aient consentis. »
Témoignage : étudiante de l’université Aix-Marseille partie en volontariat au Togo
Aujourd’hui, l’humanitaire est donc instrumentalisé par les associations et entreprises mais également par les personnes y participant en valorisant leur image.
Les orphelinats : exemple concret de l’instrumentalisation des missions humanitaires
Dès le début des années 2000, l’association ChildSafe Movement, spécialiste de la protection de l’enfance, alerte dans son rapport intitulé les enfants ne sont pas des attractions touristiques, que les projets humanitaires se rapportant à des visites dans les orphelinats ont un impact négatif. Il a été par exemple révélé qu’au Cambodge, 80% des 8 millions d’enfants placés en orphelinats sont séparés de leur famille. Les droits de ces enfants sont également violés lors des nombreuses visites de courte durée à différentes reprises de la journée. Celles-ci ne respectent pas leur intimité et donc leur droit à la vie privée reconnu dans la Convention internationale des droits de l'enfant.
« Voyager dans un PMA, au Togo pour ma part, implique généralement de croiser des voyageurs européens venus pour des « missions humanitaires » proposées par divers organismes. Ces personnes sont généralement peu qualifiées et leurs “missions” ne consistaient qu'à visiter des orphelinats pour jouer avec des enfants pendant une courte période. Ils voient ainsi passer de nombreuses personnes pour des laps de temps plus ou moins courts, auxquelles ils s'attachent sans bénéficier de plus-value de leur part. Bien que les attentions de ces “volontouristes” soient louables, ils ne participent qu'à entretenir une image de dépendance des habitants d'un PMA vis-à-vis de l’Occident. »
Témoignage : étudiante de l’université Aix-Marseille, partie en volontariat au Togo
L’économie du volontourisme
Pour Konstantinos Tomazos, maître de conférences en gestion du tourisme international, le volontariat est un business rapportant près de 3 milliards de dollars par an. Par exemple, lorsque les bénévoles ne travaillent pas, ceux-ci visitent le pays et font des excursions. Les prix sont souvent plus élevés que la moyenne ce qui permet aux entreprises d’en profiter. Cependant, cette économie cache de nombreux effets pervers. Par exemple, les populations et les États peuvent devenir économiquement dépendants des organismes de volontariat mais aussi indirectement des pays occidentaux d’où viennent la majorité des bénévoles. Cela a aussi pour conséquence de déstabiliser le marché du travail. En employant des bénévoles à titre gratuit, les populations locales ou encore les travailleurs de l’humanitaire ne sont pas en activité. À ce titre, selon une étude de l’Organisation des Nations Unies de 2018, la main-d'œuvre bénévole mondiale est équivalente à 109 millions de travailleurs temps plein.
La principale illustration de ce phénomène concerne le domaine de la construction. Des centaines de bénévoles se succèdent pour mettre en place de nouvelles écoles, de nouveaux puits, etc. Ainsi, aucune formation ni emploi à destination de la population locale ne se développe. Pourtant, il est démontré que lorsque les chantiers sont réalisés par les personnes bénéficiant des changements, ceux-ci sont plus durables et permettent de résoudre des problèmes sur le long terme.
Enfin, agir au nom de la solidarité est en effet complexe, il est nécessaire d’avoir un cadre, des compétences professionnelles et surtout, en priorité, agir selon les demandes et besoins des populations. France volontaire - une plateforme regroupant de nombreuses offres de volontariat international d’échange et de solidarité - alerte sur les effets néfastes du volontourisme. L’ONG tente de mettre en évidence divers indicateurs permettant de déceler les organisations de tourisme humanitaire : la proposition de missions précises sans besoin de qualification, les séjours payants ou encore ceux de très courte durée.
De grands progrès restent à faire pour que ces programmes soient durables. Il est donc nécessaire de s’informer sur l’impact du programme de volontariat pour la population du pays où l’on souhaite se rendre.
Émilie Schollier
Image © - Pascal Deloche/Getty images
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