Décombres d'une frappe aérienne américano-saoudienne à Aden, ville portuaire lourdement bombardée pendant le conflit. (archive de 2015)
Après six mois de trêve entre le gouvernement yéménite et les rebelles houthistes, les deux belligérants ne sont pas parvenus à trouver un accord permettant de prolonger le cessez-le-feu, a annoncé l’ONU le 2 octobre dernier. D’après l’envoyé spécial de l’ONU au Yémen, Hans Grundberg, cette trêve était « un engagement des parties à intensifier les négociations pour parvenir à un accord de trêve élargi dès que possible ». À la suite de cet échec diplomatique, les Houthis ont menacé de reprendre les hostilités. La directrice de l’ONG Norwegian Refugee Council, Erin Hutchinson, a regretté « une opportunité manquée qui aurait pu aider des millions de civils à sortir d’une guerre violente ». En effet, le non-renouvellement de ce cessez-le-feu laisse craindre une reprise des violences au Yémen et une dégradation sur le plan humanitaire, alors que le pays connaît l’une des plus grandes crises humanitaires au monde.
Le Yémen est un pays situé à la pointe sud-ouest de la péninsule d’Arabie. Depuis 2014, le pays est le théâtre d’un conflit opposant les rebelles chiites Houthis et le gouvernement d’Adrabbo Mansour Hadi (gouvernement reconnu comme légitime par le Conseil de sécurité des Nations unies). Ce dernier a été élu en 2012 à la suite de la révolution yéménite (2011-2012) et le départ du président Ali Abdallah Saleh. Au lendemain de la révolution yéménite, le président nouvellement élu était chargé de mener une transition politique vers un régime plus démocratique et de rédiger une nouvelle Constitution, ce qui suscita de nombreux désaccords, notamment de la part des rebelles houthistes. Ce processus fut un échec.
Les Houthis – du nom de leur chef religieux Hussein Badreddine al-Houthi (1959-2004) – forment un mouvement rebelle politique armé depuis 1992. Ces derniers appartiennent à la communauté zaïdite, une minorité de l’Islam chiite représentant 40% de la population yéménite majoritairement sunnite. Exerçant un contrôle sur le nord du Yémen, leurs revendications sont socio-économiques, identitaires, politiques et religieuses, ils se veulent être l’opposition du gouvernement yéménite en place et du voisin saoudien. Ils dénoncent la marginalisation de la communauté zaïdite de même que les inégalités et le sous-développement du nord-ouest du pays. Dans la foulée des printemps arabes et le départ du président Ali Abdallah Saleh, les Houthis ont étendu leur influence politique et militaire au Yémen. Dès septembre 2014, les rebelles houthistes prennent le contrôle de la capitale Sanaa, entraînant la démission du Premier ministre. Ils exigent la création d’un nouveau gouvernement qui leur est plus favorable. Progressivement, ils envahissent une grande partie du territoire yéménite. En mars 2015, les rebelles houthis menacent de s’emparer la ville d’Aden, ce qui provoquera l’exil d’Adrabbo Mansour Hadi à Riyad, capitale de l’Arabie Saoudite.
Ce conflit a pris une grande ampleur dès le 26 mars 2015 avec l’intervention militaire au Yémen d’une coalition de neuf pays arabes sunnites menée par l’Arabie Saoudite, sur demande du président Mansour Hadi. Cette coalition veut protéger le Yémen contre les rebelles chiites Houthis, soutenus militairement et économiquement par l’Iran chiite, pays rival de l’Arabie Saoudite sunnite. Malgré les tentatives de négociations, le conflit est toujours actuel et il est difficile d’en envisager une issue favorable dans une période proche.
Ce conflit violent a plongé le Yémen dans l’une des crises humanitaires des plus graves au monde. Les civils yéménites en sont les premières victimes. Un rapport de l’UNICEF publié en novembre 2021 relate qu'au moins 380 000 personnes sont mortes depuis 2014, en raison notamment des conséquences indirectes des combats - malnutrition ou les maladies - auxquelles auraient succombé 223 000 de ces personnes. D’après les dernières données des Nations unies, plus de vingt millions de personnes ont besoin d’une assistance pour répondre aux besoins les plus élémentaires de la vie et de la protection, soit 80% de la population du pays.
Sur le plan alimentaire, les chiffres sont préoccupants : d’après les Nations unies, seize millions de personnes au Yémen sont en situation d’insécurité alimentaire parmi lesquelles cinq millions de personnes seraient très proches d’une situation de famine.
Ce conflit a eu des graves conséquences sur les services de santé : « Chaque jour, j’y observe les difficultés rencontrées par les médecins et les patients. Au Yémen, vous pouvez mourir du paludisme et votre enfant de la rougeole si vous n’arrivez pas à temps à l’hôpital. Le problème, c’est qu’à cause de la guerre, il n’y a plus beaucoup d’hôpitaux », témoigne le Dr. Abdullah Ridman, médecin yéménite. Les soins de base font défaut, ce qui expose les populations au risque de contracter des maladies évitables telles que la diarrhée, la malnutrition, et les infections respiratoires. Cela s’explique notamment par l’effondrement des infrastructures sanitaires. D’après l’UNICEF, plus de la moitié des installations de santé sont inutilisables en raison de l’absence de personnel ou pour des raisons financières. De plus, la limitation de l’accès à l’eau a privé 9 millions d’enfants d’eau potable, mais également à pourvoir à leurs besoins hygiéniques essentiels, ce qui augmente les risques de propagation des maladies. D’après Franck Mermier, chercheur au CNRS, « on a une situation sanitaire extrêmement grave avec le retour de maladies qu’on croyait éradiquées, comme la tuberculose, le choléra ». En effet, depuis octobre 2016, le Yémen fait face à la plus importante épidémie de choléra jamais enregistrée.
Par ailleurs, ce conflit génère une crise migratoire massive. En effet, d’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, plus de 4 millions de Yéménites ont fui à l’intérieur du pays du fait du conflit.
Alors que le conflit au Yémen connaît des regains périodiques de violence, l’ONU a déclaré avoir récolté en mars dernier des fonds insuffisants pour venir en aide au Yémen, dans un contexte où les yeux du monde sont rivés sur l’Ukraine. Un total de 1,18 milliard d’euros ont été récoltés, loin des 3,6 milliards d’euros espérés. En effet, face à l’invasion russe de l’Ukraine, les organisations humanitaires craignent une invisibilisation plus forte des crises humanitaires dans le monde. D’après Achim Steiner, chef du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), « le risque est que le Yémen soit en partie oublié et ce sera évidemment une tragédie ». Il ajoute que le conflit en Europe a des « répercussions sur l’économie mondiale », ce qui « réduira l’ampleur de la solidarité internationale ». À ce titre, Steiner craint de nouvelles réductions des financements par des donateurs internationaux.
La Guerre en Ukraine a provoqué une augmentation significative des prix des aliments dans le pays. L’économie étant déjà anéantie par la guerre, le Yémen est exposé aux impacts résultant du conflit russo-ukrainien, d’autant plus que l’Ukraine fournissait un tiers du blé consommé au Yémen. Dès mars 2022, un mois après le début de la guerre, le pays s’alarmait sur une montée des prix et d’éventuelles pénuries. Ali Al-Kabous, commerçant local, craignait déjà une augmentation du prix du blé et des frais de transport « si la guerre entre la Russie et l’Ukraine se poursuit ». Face à cette urgence humanitaire, un deuxième navire affrété par l’ONU est allé délivrer du blé en provenance de l’Ukraine, à destination de l’agence du Programme alimentaire mondial de l’ONU au Yémen, en août 2022.
Meriam Ghali
Image © - PNUD
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