Jusqu’alors peu considéré par la communauté internationale, le conflit dans la région du Tigré en Éthiopie a détruit la vie de plus de 600 000 personnes depuis son début, le 2 novembre 2020. À ce jour, il est estimé que 20 millions de personnes nécessitent une aide humanitaire, dont l’acheminement n’a pu débuter qu’après la récente cessation des hostilités entre les forces armées du Front de Libération du peuple du Tigré (TPLF) et les forces gouvernementales. En effet, après deux années de conflit meurtrier au cours duquel des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été massivement enregistrés, un espoir de paix s’est dessiné grâce à la signature, en novembre 2022, d’un accord de cessez-le-feu placé sous l’encadrement de l’Union africaine à Pretoria. Cet accord constitue une étape clé pour un potentiel retour à la paix au nord de l’Éthiopie.
Les derniers événements observés à travers la politique de l’Éthiopie interrogent sur l’avenir qui se dessine dans la région du Tigré. Si l’accord de cessez-le-feu semble être le fondement d’une solide relation pacifique entre le gouvernement fédéral d’Abiy Ahmed et le TPLF, l’avenir des victimes demeure incertain.
Dans la dynamique du rétablissement des relations diplomatiques, à l’échelle nationale, les forces tigréennes ont procédé au dépôt progressif de leurs armes. À l’échelle internationale, la signature de l’accord de Pretoria a suscité l’intérêt des puissances occidentales. Le 12 janvier 2023, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a reçu la visite de Catherine Colonna et Annalena Baerbock – cheffes de la diplomatie française et allemande – qui ont souhaité démontrer le soutien du couple franco-allemand au deuxième État le plus peuplé d’Afrique.
Au-delà d’avoir marqué, pour la première fois depuis novembre 2020, l’intérêt de la communauté internationale pour le conflit dans la région du Tigré, cette visite a également permis d’établir un rapprochement entre l’Éthiopie et l’Union européenne. Le conflit ayant ravagé l’économie et la situation sanitaire, des négociations ont été entamées au sujet d’aides européennes pour la reconstruction de l’Éthiopie. De même, le Secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a suivi les pas de ses homologues française et allemande, et a rencontré Abiy Ahmed, afin de renouer les liens qui s’étaient estompés entre Addis-Abeba et Washington. Dans l’optique d’un partenariat entre les deux États et afin de pallier les dégâts humanitaires et écologiques qui font rage en Éthiopie, le chef de la diplomatie américaine a annoncé une aide de 331 millions de dollars.
« En l’absence d’un véritable traité de paix qui puisse sceller les avancées apportées par l’accord de Pretoria de novembre 2022, l’Éthiopie se situe dans un entre-deux qui ne permet pas d’assurer une stabilité pour les mois à venir »
Aussi fructueux qu’aient été les échanges entre Abiy Ahmed et Antony Blinken pour l’avenir de l’Éthiopie, le Secrétaire d’État américain n’a pas manqué de souligner la responsabilité des belligérants au cours du conflit en matière de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Appuyant sur l’implication de l’ensemble des parties au conflit dans la commission de violations des droits de l’Homme, son constat soulève éminemment la question de la répression des crimes allégués par la justice éthiopienne.
Toutefois, de manière antinomique aux conclusions établies par le chef de la diplomatie américaine, le gouvernement éthiopien a annoncé sa volonté de faire cesser le mandat de la Commission internationale des experts des droits de l’homme en Éthiopie, dont l’objectif principal était la conduite d’enquêtes au sujet des violations des droits humains. Cette affirmation est inquiétante au regard de la vulnérabilité dans laquelle sont plongés de nombreux tigréens, et témoigne de la volonté du gouvernement éthiopien de dissimuler les crimes commis à l’encontre de la population tigréenne. parmi lesquels des violences sexuelles systématiques et une politique de nettoyage ethnique. Cette dernière s’est notamment manifestée lors de la semaine précédant l’adoption de l’accord de Pretoria, durant laquelle une dizaine de villages à l’est de la ville d’Adoua ont fait l’objet de représailles de la part des forces érythréennes.
En l’absence d’un véritable traité de paix qui puisse sceller les avancées apportées par l’accord de Pretoria de novembre 2022, l’Éthiopie se situe dans un entre-deux qui ne permet pas d’assurer une stabilité pour les mois à venir. Outre les efforts accomplis entre les autorités tigréennes et les autorités fédérales, des tensions persistent aux portes du territoire éthiopien, d’une part au sujet de la bande frontalière d’Al Fashaga, convoitée par le Soudan, et d’autre part du fait de la pression exercée par les forces érythréennes, dont le retrait du territoire n’est pas pleinement effectif. Ces multiples éléments laissent planer le doute sur le rétablissement d’une paix durable.
De surcroît, l’Érythrée n’a pas annoncé prendre part à l’accord de cessez-le-feu, alors que ses forces armées étaient impliquées aux côtés des forces gouvernementales éthiopiennes. Un tel contexte ne permet pas de mettre un point final au conflit du Tigré, particulièrement après les allégations de massacres de la part de l’armée érythréenne contre la population tigréenne lors des négociations de l’accord.
« pour parvenir au rétablissement d’une paix durable, il faut concevoir le retour à la paix au Tigré selon un processus échelonné dans le temps, incluant la répression des exactions commises à l’encontre de la population civile »
Bien que le rétablissement et la consolidation de la paix soient un défi d’envergure après des conflits d’une violence extrême, ceux-ci sont très attendus. Toutefois, pour parvenir au rétablissement d’une paix durable, il faut concevoir le retour à la paix au Tigré selon un processus échelonné dans le temps, incluant la répression des exactions commises à l’encontre de la population civile. Par conséquent, il est impossible de reconnaître que le Tigré se situe de nouveau en situation de paix malgré ces avancées politiques et conventionnelles.
De plus, sans ratification du Statut de Rome par l’Éthiopie, difficile d’espérer que la Cour pénale internationale exercera sa compétence subsidiaire concernant la commission de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Il reviendra donc aux juridictions nationales éthiopiennes de réprimer les auteurs de ces actes inhumains afin de lutter contre toute impunité et garantir une paix durable en Éthiopie, malgré les difficultés qu’elles rencontrent pour exercer leur fonction.
Amanda Gichia & Eva Chabot
Image © - John Holmes / Human Rights Watch & Amnesty International
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